Conférences et évènements

Impact de la loi Macron sur l’évolution des professions libérales

Table ronde organisée par le cabinet CARLARA en partenariat avec Le Bulletin Quotidien et La Correspondance Economique. 

Mme Carole CHAMPALAUNE, directrice des Affaires civiles et du Sceau au ministère de la Justice et M. Bruno LASSERRE, président de l'Autorité de la concurrence, ont débattu de l'impact de la loi Macron sur l'évolution des professions libérales.

 

Lors d'une table ronde organisée par le cabinet CARLARA et animée par Me Edouard de LAMAZE, avocat à la cour d'appel de Paris, associé du cabinet Carbonnier, Lamaze, Rasle et Associés (CARLARA), et Me Hervé LECUYER, également associé du cabinet CARLARA, professeur à l'Université Panthéon-Assas (Pars II), Mme Carole CHAMPALAUNE, directrice des Affaires civiles et du Sceau au ministère de la Justice, et M. Bruno LASSERRE, président de l'Autorité de la concurrence, ont débattu de l'impact de la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite "loi Macron", du 6 août 2015, sur l'évolution des professions libérales, en présence de plusieurs personnalités représentant les professions concernées.

C'est la première fois que nous avons une réforme d'ampleur, a tenu à souligner M. Bruno LASSERRE. Relevant l'ambition très vaste de la loi d'août 2015 en la matière et l'importance de la progressivité qui y est attachée, le législateur reconnaissant la nécessité du temps et des cycles à sa pleine mise en œuvre, le président de l'Autorité de la concurrence voit là, pour s'en féliciter, la marque d'un certain pragmatisme.

D'une façon plus générale, a, de son côté, relevé Mme Carole CHAMPALAUNE, la loi Macron est inspirée, dans ce secteur des professions réglementées comme dans d'autres, par l'idée d'aller rechercher partout comment lever les freins à la croissance. Pour autant, le Gouvernement a veillé à prendre en compte les spécificités de ces professions qui les font concourir au service public de la justice. Spécificités qui ont logiquement conditionné également le modèle de régulation à leur appliquer qui s'est voulue proportionnée et adaptée.

Création de sociétés pluri-professionnelles d'exercice (SPE)

  • Jusqu'à neuf professions pourront exercer au sein d'une même SPE

La loi Macron, porteuse d'un changement d'approche radicale pour les professions du droit et du chiffre et d'un renforcement de leur compétitivité, a souligné Me Edouard de LAMAZE, a prévu une innovation majeure avec la création de sociétés ayant pour objet l'exercice en commun de plusieurs de ces professions réglementées, les sociétés pluri-professionnelles d'exercice (SPE). Celle-ci découle directement de l'article 25 de la directive Services (2006/123/CE) qui interdit les restrictions aux partenariats pluri-professionnels entre professions réglementées, a-t-il rappelé. Une ordonnance du 31 mars 2016 précise les modalités de ces SPE qui peuvent être créées depuis le 1er juillet et composées de 2 à 9 des professions suivantes : avocat, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, commissaire-priseur judiciaire, huissier de justice, notaire, administrateur judiciaire, mandataire judiciaire, conseil en propriété industrielle et expert-comptable.
"Cet outil se caractérise par sa souplesse au niveau des formes sociales qui pourront être utilisées puisqu'elles seront toutes possibles, à la seule exception de celles qui confèrent à leurs membres la qualité de commerçant", a souligné Mme CHAMPALAUNE. Cette souplesse connaît cependant des limites au regard notamment des exigences posées en termes de capital et d'exercice.

En effet, la détention du capital sera encadrée puisque celui-ci devra être détenu en totalité, directement ou indirectement, par des personnes qui exercent l'une des professions exercées au sein de la société. De même, les sociétés ne pourront accomplir les actes d'une profession déterminée que par l'intermédiaire d'un de leurs membres ayant qualité pour exercer cette profession, a-t-elle rappelé.
Les sociétés ne pourront exercer les professions constituant son objet social qu'après avoir été déclarées auprès des autorités compétentes. Enfin, a précisé Mme CHAMPALAUNE, chaque associé répondra sur l'ensemble de son patrimoine des actes professionnels qu'il accomplit et la société sera par ailleurs solidairement responsable avec lui.

Outre la mise en œuvre des SPE, la loi joue sur d'autres leviers d'action. Ainsi, s'agissant des périmètres d'exercice des différentes professions concernées, la réforme instaure quelques évolutions dans l'activité de certaines d'entre elles. C'est le cas notamment pour les huissiers de justice, et les commissaires priseurs judiciaires qui ont désormais la possibilité de se voir confier des mandats de justice dans des procédures de liquidation des entreprises, ou de redressements professionnels s'agissant de petites liquidations.
Ou encore avec la création d'une procédure spécifique de recouvrement de petites créances avec la possibilité pour les huissiers de justice de délivrer un titre exécutoire. La réforme va également permettre le rapprochement de certains acteurs avec la création d'une nouvelle profession, celles des commissaires de justice qui rassemblera les activités des huissiers de justice et de commissaires priseurs judiciaires, a-t-elle détaillé. Autre levier, celui de l'accès qui a été modifié pour certaines de ces professions avec à l'œuvre une triple volonté : une diversification sociologique, un renouvellement démographique, et l'application du principe méritocratique.

Ainsi par exemple, est mis en place un concours s'agissant des greffiers de tribunaux du commerce, ou encore la création d'un nouveau diplôme pour les administrateurs et les mandataires judiciaires. Autant de démarches volontaristes pour augmenter le nombre de professionnels et diversifier le recrutement dans l'intérêt des entreprises, a fait valoir Mme Carole CHAMPALAUNE.

Notons qu'un ensemble de décrets portant sur les modalités d'application de l'ordonnance du 31 mars 2016 est paru le 30 juin au Journal Officiel.

S'agissant des professions du chiffre, si la profession d'expert-comptable fait bien partie de celles qui pourront désormais être partie prenante des SPE, ce n'est pas le cas, en revanche, de la profession de commissaire aux comptes qui demeure en dehors du champ de la réforme, a déploré pour sa part M. Philippe CASTAGNAC, président-directeur général de Mazars, rejoint en cela par Me Edouard de LAMAZE. Or, "une immense majorité d'experts-comptables sont aussi commissaires aux comptes et vice-versa. La dualité d'exercice est très forte", a-t-il souligné.
En conséquence, ces structures hybrides, qui, pour les premières dépendent de l'Ordre des experts-comptables et sont placées sous la tutelle de Bercy, alors que les secondes sont rattachées à la Compagnie nationale des commissaires aux comptes placée sous la tutelle du ministère de la Justice, devront à l'avenir limiter leur activité à la seule expertise comptable si elles veulent tirer profit de la loi Macron.
A moins que le décret ne permette de conserver la structure hybride et que l'expert-comptable puisse rejoindre, en tant que personne physique, la SPE. Dans ce cas, qu'en sera-t-il de l'économie du système et des économies d'échelle attendues, s'est interrogé M. CASTAGNAC pour qui on aboutit, de fait, à une quasi impossibilité pour les experts-comptables commissaires aux comptes de rentrer dans le cadre de la loi Macron. Et de s'interroger : n'y aurait-il pas derrière la réforme de l'audit au niveau européen (ndlr : qui devait entrer en vigueur pour sa part le 17 juin dernier) et derrière la loi Macron en France, une volonté implicite de vouloir séparer et isoler la fonction d'audit légal, qui requiert une forte indépendance, rendant de facto quasi impossible l'association avec d'autres professions juridiques. Avec, à l'arrivée, une forte concentration dans ce secteur, a-t-il prédit.

Enfin mise en œuvre, cette idée de l'inter-professionnalité, concrétisée par la loi Macron, n'est pourtant pas une idée neuve, comme l'a rappelé Me de LAMAZE. "En mars 2009, le rapport Darrois préconisait déjà un rapprochement entre les professions du chiffre et du droit (…).
Il s'agissait d'un vieux serpent de mer. En effet, le principe de l'inter-professionnalité d'exercice a été voté en France dès 1966 avec la création des sociétés civiles professionnelles, et, avait été repris dans la loi de 1990 sur la fusion des professions. Mais il est resté lettre morte faute de décret pour le mettre en œuvre, faute surtout de consensus des professionnels", a-t-il souligné.

L'inter-professionnalité d'exercice, qui voit désormais le jour, est à la fois complémentaire et concurrente d'une autre forme d'inter-professionnalité, l'inter-professionnalité capitalistique qui fut, pour le coup, sous la forme de holding des professions libérales, le résultat d'une instance de concertation avec les professions concernées que Me Edouard de LAMAZE pilota à l'époque en tant que délégué interministériel aux professions libérales, fonction qu'il assuma de 1996 à 2002.
Le fruit de ce travail a débouché sur la loi Murcef de 2001 (loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier) qui créa le dispositif des sociétés de participations financières de professions libérales (SPFPL). Pour comprendre la genèse de cette réforme, il faut mentionner le rapport Nallet, qui, en 1999, a rappelé Me de LAMAZE, "évoquait pour la première fois l'idée d'une inter-professionnalité capitalistique et professionnelle libérale, se faisant l'écho de la profession d'avocat face au développement extrêmement concurrentiel du marché du droit des affaires en France et en Europe".

Cependant, cette notion était alors conçue dans une approche essentiellement mono-professionnelle. C'est dans le prolongement du rapport Darrois de 2009 qui, outre la grande profession du droit à laquelle il appelait, recommandait un approfondissement de l'inter-professionnalité capitalistique, que la loi du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions réglementées est intervenue. Elle "a perfectionné et consacré ce principe d'inter-professionnalité capitalistique des professions libérales en l'étendant aux professions du chiffre" ; puis le décret du 19 mars 2014 "a enfin rendu possible la création des holdings réellement interprofessionnelles entre les professionnels du chiffre, du droit et de l'ensemble des professions réglementées".

En conséquence, co-existent aujourd'hui deux dispositifs, a-t-il résumé : d'une part, les holdings qui ne s'intéressent pas à l'exercice des professions mais permettent de répondre aux besoins croissants en capitaux des entreprises libérales ; et d'autre part, les sociétés pluri-professionnelles d'exercice, SPE, qui ne remettent pas en cause l'approche des holdings mais qui touchent à l'exercice complémentaire et fusionnel des professions réglementées.

  • Conflits d'intérêts et secret professionnel

La mise en œuvre de l'inter-professionnalité n'est pas sans poser de nombreuses questions, celle des conflits d'intérêts notamment.
"L'ordonnance prévoit à cet égard des obligations déclaratives puisque tous les professionnels exerçant au sein de ces sociétés devront s'informer mutuellement des liens d'intérêt qui sont susceptibles d'affecter leur exercice. Et avec ces informations, il appartiendra aux professionnels d'agir conformément à leur déontologie propre, qui les invite évidemment à décliner celles des missions qui seraient susceptibles de faire émerger un conflit d'intérêt", a expliqué Mme CHAMPALAUNE.

L'ordonnance prévoit en outre un aménagement concernant le secret professionnel, a-t-elle rappelé. Un professionnel exerçant au sein d'une SPE pourra ainsi communiquer des informations relatives à son client aux autres membres de la société pour faciliter l'exercice de la mission qui lui a été confiée, sous réserve que ledit client ait été préalablement informé, et ait donné son accord.
Plus généralement, l'ordonnance encadre la relation contractuelle entre la société et son client, ou la désignation de la société au titre d'un mandat de justice, de façon à préserver le libre choix du client ou du juge. Le client devra ainsi être informé de l'ensemble des prestations que la société exerce et désignera les professionnels auxquels il entend confier ses intérêts.

  • Les inquiétudes des avocats

"L'inter-professionnalité pour les avocats, nous l'avons voulue pour une raison essentielle, c'est parce qu'en termes de productivité, c'est rentable", a réagi le président de la Conférence des bâtonniers Yves MAHIU, en soulignant toutefois que la profession nourrissait "quelques inquiétudes" sur le sujet. "Cette inquiétude, elle résulte dans la perte de l'indépendance.
Les professionnels que sont les avocats, les notaires, les experts-comptables, ce sont des gens indépendants. Posons-nous la question de savoir si leur réunion n'est pas de nature à leur faire perdre cette indépendance, au point de provoquer des catastrophes", a-t-il alerté. Selon M. MAHIU, "c'est de l'indépendance que découle la confiance que le client met dans le professionnel".
Or, "à partir du moment où le client peut se poser la question de la réelle indépendance de son conseil exerçant au sein d'une structure avec d'autres professionnels qui n'ont pas forcément la même conception de la déontologie, à partir du moment où on assistera nécessairement à un affaiblissement du secret professionnel, qui sera partagé avec les associés", et de la gestion des conflits d'intérêts - car l'obligation déclarative ne réglera certainement pas tout -, "ce sont les avocats qui paieront le prix de l'inter-professionnalité", a-t-il mis en garde.

Me Jean-Michel DARROIS, avocat à la cour d'appel de Paris, associé du cabinet Darrois Villey Maillot Brochier et Associés, et auteur en 2009 d'un rapport sur les modalités de création en France d'une grande profession du droit (cf. supra), y voit au premier chef la satisfaction de l'intérêt du client qui, dans la foulée, devrait améliorer la rentabilité de la profession. Il n'en nourrit pas moins quelques inquiétudes également. "Ce que je crains pour la profession d'avocat, c'est l'éclatement. On voit deux mouvements : d'une part les avocats qui souhaitent demeurer essentiellement des hommes de contentieux ; d'autre part les avocats d'affaires.
Enfin, les magistrats qui viennent alimenter cette distinction introduite par les professionnels eux-mêmes. Les magistrats ne semblent reconnaître le secret professionnel qu'aux avocats désignés par un client compromis dans une affaire pénale", alors que les autres n'y auraient pas droit, a-t-il souligné. "Alors il pourra y avoir des sociétés inter-professionnelles entre des avocats d'affaires, et des notaires, et des experts-comptables, lorsqu'au fond, ils auront une approche commune de la vie juridique et économique et qu'ils souhaitent avoir la même place dans la société. Et alors là, une partie de la profession d'avocat serait exclue. Et ce serait un drame, et pour les avocats, et pour notre société", a-t-il ajouté.

Me William FEUGERE, membre du bureau du Conseil national des barreaux (CNB), a rappelé que l'inter-professionnalité, voulue tout d'abord sur le terrain des holdings, puis sur celui dit fonctionnel, l'a été en pensant notamment aux jeunes professionnels. Elle a été construite, souhaitée en lien avec les experts-comptables, a-t-il relevé. Si la loi Macron a été un coup de fouet pour la profession d'avocat, de nombreuses questions restent cependant encore en suspens. "La loi ne va pas assez loin, ou en tout cas, ne résout pas les problèmes et nous continuons à avoir des débats internes, importants". Il reste des sujets tel l'unicité d'exercice.
"Certains de nos amis, concurrents parfois, peuvent avoir plusieurs structures, nous pas". Pour sa part, Me de LAMAZE s'est interrogé sur la question de savoir, en effet, si l'avocat pourra scinder son activité entre, d'une part, celle qui concerne sa structure classique, d'exercice, et d'autre part, son activité qu'il pourra développer aux côtés d'autres professionnels dans le cas des SPE. Autre question soulevée par Me FEUGERE, celle de l'ouverture du capital : ne peut-on aller plus loin ? Différemment ? Il y a ainsi plein de sujets sur lesquels il faut avancer et on peut continuer à aller encore plus loin, a-t-il souhaité.

Nouvelle méthode de fixation des tarifs

  • Un principe de correspondance avec les coûts

Abordant certains aspects de la réforme, Me Hervé LECUYER a, pour sa part, rappelé que la loi Macron avait introduit une innovation quant à la fixation des tarifs de certaines professions juridiques réglementées (notaires, huissiers de justice, greffiers des tribunaux de commerce, administrateurs judiciaires, mandataires judiciaires, commissaires-priseurs judiciaires).
Selon la loi, une grille des tarifs, révisée tous les cinq ans, est fixée par décret après avis de l'Autorité de la concurrence investie, ici, d'un pouvoir consultatif. Ce rôle de "tiers impartial" sera essentiel, a estimé Me LECUYER. Complétant ces prérogatives, la loi Macron donne de surcroît un pouvoir d'initiative à l'Autorité qui pourra ainsi décider de s'auto-saisir pour formuler un avis au ministre compétent et proposer éventuellement des modifications s'agissant de la tarification de tel ou tel acte pour telle ou telle profession, s'est félicité pour sa part M. Bruno LASSERRE. La solution proposée ne liera pas le pouvoir réglementaire, mais l'invitera à faire autrement.

Quant aux règles de fixation des tarifs, celles-ci sont précisées dans le décret du 26 février 2016 qui dispose que ceux-ci seront censés couvrir à la fois, "les coûts pertinents du service rendu et une rémunération raisonnable définie sur la base de critère objectifs", a détaillé Me LECUYER. Or, comment approcher la vérité des coûts ? Comment définir une rémunération raisonnable ? Le gouvernement a retenu des critères endogènes au sein de chaque profession.
N'est-il pas dommage de renoncer à comparer la profession concernée avec d'autres professions dans une approche de type exogène ? D'autre part, la rentabilité moyenne d'une profession a-t-elle un sens, compte tenu des fortes disparités en son sein, s'est interrogé Me LECUYER avant de pousser plus loin la réflexion : à quoi sert véritablement une réforme de tarifs s'il n'y a pas, en parallèle, une réforme de la fiscalité ?
Ainsi a-t-il regretté une réforme qui peut sembler "contradictoire ou inaboutie" dans sa mise en œuvre et qui "manque son objectif qui est, tout de même, celui de diminuer les coûts finaux pour le consommateur". Ultime interrogation parmi d'autres, partagée avec Me de LAMAZE : comment les professionnels pourront-ils réaliser les nécessaires gains de productivité ? Car la réflexion, ici, est urgente eu égard au retard pris en Europe par rapport aux Etats-Unis en matière de productivité des services réglementés, a-t-il mis en garde.

Quant à la méthode choisie par le pouvoir réglementaire, celle-ci consiste à approcher la réalité des coûts acte par acte, et non de façon globale. Ce dispositif rencontrera-t-il l'approbation de l'Autorité de la concurrence, s'est interrogé Me LECUYER. "Personnellement, j'aurais mille fois préféré une approche globale, pour plusieurs raisons. (…) Aucune activité de service ne cherche à faire coller les prix à la réalité des coûts de chaque acte ou de chaque prestation.
Comme vous tous qui êtes prestataires de service, il y a des cas dans lesquels vous perdez de l'argent sur un client et vous allez en gagner sur d'autres. Et ce qui guide votre regard, c'est la marge engendrée en moyenne que vous allez dégager", lui a répondu M. Bruno LASSERRE. A cet égard, Me Bruno CHEUVREUX, co-fondateur et associé de Cheuvreux Notaires, a tenu à mettre en garde contre cette approche, non contre la méthode globale elle-même, mais contre l'incertitude dont elle serait porteuse, anxiogène pour la profession dans l'hypothèse de changements de règles en cours de route. Pour sa part, M. Patrice GRAS, président de l'Union nationale des huissiers de justice (UNHJ), n'a pas caché son scepticisme face à une approche globale qu'il jugerait dangereuse.

A ce stade, la régulation tarifaire, acte par acte, va imposer aux professionnels la tenue d'une comptabilité analytique et la remontée d'une série de données comptables et financières. "Heureusement, le Conseil d'Etat a estimé que la construction d'une régulation tarifaire acte par acte nécessitait du temps et la construction d'une base de données très ambitieuse qui n'existe pas aujourd'hui. Il a donc autorisé le gouvernement à mettre en place à titre transitoire une régulation, avec un "price cap", justement globale et transitoire" fixé à moins 5 %", a souligné M. LASSERRE. Ainsi, le décret du 26 février 2016 et les arrêtés l'accompagnant entrainent-ils une baisse globale de 2,5 % des tarifs des notaires et huissiers de justice, et de 5 % des tarifs des greffiers de tribunaux de commerce, a détaillé Me LECUYER.

Me Eric PIQUET, ancien président de l'UNHJ, a soulevé la question de la péréquation prévu par le décret du 26 février 2016. "La péréquation ne prend pas en compte les prestations fournies par les huissiers de justice en matière pénale, de telle sorte que le tarif fixé sur le fondement du décret ne permet pas d'assurer une péréquation au profit des prestations en matière de service pénal.
Ou, à l'inverse, les coûts lourds des prestations pénales ne sont pas pris en compte pour la péréquation des activités soumises à la tarification", a-t-il regretté.

  • Possibilité de remises

Alors que les émoluments des notaires seront plafonnés à 10% du prix du bien pour les achats de petit prix - moins de 250 000 euros, l'innovation principale réside sans doute ici dans la possibilité de remise par les notaires, a relevé Me LECUYER. En effet, la réforme introduit la possibilité pour ceux-ci de remises plafonnées à 10 % pour tout acte dépassant 150 000 euros, remise qui devra être consentie à l'ensemble des clients de l'office. Une disposition qui ne va pas assez loin selon l'Autorité de la concurrence qui pour sa part, est favorable à un taux de remise de 20 %.
"Nous aurions aimé que cette faculté d'accorder des remises soit à la fois plus souple et plus large", a affirmé ainsi M. LASSERRE. "Ce n'est que pour l'immobilier d'entreprise, dans le cas où la valeur du bien dépasse 10 millions d'euros, que des remises peuvent être pratiquées, elles, jusqu'à au moins 40 %. Mais il s'agit d'un marché très étroit, très spécifique, avec une très haute valeur ajoutée, a-t-il expliqué.

"Deuxième regret, nous aurions aimé aller plus loin dans la détarification. La philosophie, c'est de réglementer les prix lorsqu'il existe un monopole. Lorsqu'il n'en existe pas, nous sommes favorables à plus de liberté, sous entendu plus d'ouverture aussi des professionnels, et d'avoir une concurrence par les mérites, la qualité, l'innovation…", a-t-il également ajouté.

Le maintien de la proportionnalité du tarif au-delà d'un certain prix, constitue selon M. LASSERRE une importante concession accordée aux notaires. "La rente, elle est où ? Elle est généralement là où la rémunération excède largement les coûts. Et tout le monde est d'accord pour dire que la proportionnalité, notamment pour les très grosses mutations immobilières, conduit à des rémunérations qui sont largement déconnectées des coûts. Personne ne peut le contester", a-t-il affirmé.

Le président de l'Autorité de la concurrence est en revanche très favorable à la mesure consistant à plafonner à 10 % de la valeur du bien les émoluments du notaire, avec un tarif minimum de 90 euros. En effet, a-t-il fait valoir, "la Loi Macron, en imposant la proportionnalité du tarif au-delà d'un certain prix, a fait une concession majeure. Il n'est donc pas choquant qu'à l'autre extrême, elle ait considéré que lorsque la valeur du bien est très faible, pour encourager la mobilité du foncier, on invite les professionnels à plafonner leur rémunération à 10 %".

Une disposition qui concerne principalement les ventes de terre ou de biens en milieu rural, ainsi que les cessions de parties communes, caves, parkings, en milieu urbain. "On sait que la vente de certaines parcelles forestières, certaines parcelles rurales, voire des échanges de parties de copropriétés peuvent être entravés par le coût des émoluments qui excèdent souvent la valeur du bien. Et je crois que c'est une réforme qui va encourager la mobilité du foncier, et peut-être encourager certains professionnels à vendre, à échanger, à regrouper des parcelles", a développé M. LASSERRE. Un regret, cependant, a-t-il fait valoir, c'est que les pouvoirs publics ne soient pas allés jusqu'au bout en plafonnant aussi les droits d'enregistrement.

Me Bruno CHEUVREUX, co-fondateur et associé de Cheuvreux Notaires, n'est quant à lui guère en faveur de cette disposition de plafonnement. "Tout ceci va avoir comme conséquence mécanique que vous allez avoir un rejet du notariat rural. 90 euros pour des actes qui, d'après ce que disent les professionnels, mettent 20 heures… et à mon avis prennent effectivement les 20 heures, c'est donc une rémunération, au niveau des coûts par client, qui confine à l'absurde", a-t-il affirmé.
Dans un autre cas de figure mettant en jeu les nouvelles règles tarifaires dans le cadre de la pluri-professionnalité entre avocat et huissier de justice, M. Patrice GRAS, président de l'UNHJ, a relevé des situations où la rémunération serait "indigente". Plus généralement, le président de l'UNAPL (Union nationale des professions libérales) Michel CHASSANG s'est interrogé sur la "finalité réelle de cette réforme". "Est-ce que c'est rendre du pouvoir d'achat aux Français comme on l'a dit ? Est-ce que c'est la fin des rentes de situation pour un certain nombre de professions ? Est-ce que c'est pour dégager de la croissance ? Est-ce que tout ça va bien être au rendez-vous ?", a-t-il égrené, avouant être "très impatient d'une estimation de tout cela". Et de s'interroger sur la question de savoir si, en fin de compte, il n'y aurait pas la "volonté de déréguler pour déréguler".

Une liberté d'installation dans certaines zones

  • Une cartographie établie sur proposition de l'Autorité de la concurrence

La loi Macron prévoit par ailleurs que les notaires, huissiers de justice et commissaires-priseurs judiciaires puissent s'installer librement dans les zones où l'implantation d'offices apparaît utile pour renforcer la proximité ou l'offre de services. Ces zones sont déterminées par une carte établie conjointement par les ministres de la Justice et de l'Economie, sur proposition de l'Autorité de la concurrence, a détaillé Me LECUYER.

Selon M. LASSERRE, cette nouvelle compétence conférée à l'Autorité de la concurrence, d'orientation plus que de régulation, doit répondre à trois objectifs : "rééquilibrer la présence sur le territoire, de manière à faire coller l'offre et la demande ; donner des perspectives aux jeunes, et notamment aux salariés qui souhaitent mener un projet entrepreneurial ; et ne pas menacer la viabilité économique des offices existants, donc la présence est importante, notamment en milieu rural".

La cartographie proposée par l'Autorité de la concurrence concernant l'installation des notaires a été rendue publique le 9 juin (cf. CE du 10/06/2016), au lendemain de cette table-ronde. Sur cette carte, 307 zones ont été délimitées, dont 247 où l'Autorité estime utile de créer des offices de notaires et où l'installation sera donc libre. En additionnant les besoins dans chacune de ces 247 zones, l'Autorité préconise globalement l'installation de 1 650 nouveaux notaires titulaires de leur office ou associé d'ici 2018, soit une hausse de 20 %. Cela porterait en effet leur nombre à 10 250 contre 8 600 actuellement.

Notons que la cartographie concernant les huissiers de justice et commissaires-priseurs judiciaires sera rendue publique après l'été. Courant juillet, l'Autorité évoquera par ailleurs la situation des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, en se prononçant sur les besoins et le rythme de créations d'études.

  • Donner des perspectives d'installation aux jeunes et aux salariés

L'assouplissement des conditions d'installation des notaires doit, selon M. LASSERRE "donner des perspectives aux jeunes et aux salariés". Rappelons qu'à l'heure actuelle, un notaire qui veut s'établir doit être nommé par le Garde des Sceaux, après avoir été présenté par son prédécesseur dans un office existant, ou sélectionné par concours pour les offices créés ou vacants. Selon le président de l'Autorité de la concurrence, les règles actuelles "ont conduit à une très forte stabilité des notaires et en tout cas, n'ont pas conduit la profession à respecter les promesses qu'elle avait faites en 2008 de créer 10 500 notaires en 2012 et 12 000 en 2015. Ces chiffres ne sont pas aujourd'hui au rendez-vous".

Malmené ces dernières années, le notariat veut désormais se projeter vers l'avenir, a fait valoir le président de la Chambre interdépartementale des Notaires de Paris Pascal CHASSAING. Insistant sur sa véritable utilité dans le monde du droit aujourd'hui, sur "l'identité notariale" et sa mission de service public, il a tenu à rappeler néanmoins la forte présence des notaires sur le territoire. Avec 4 570 offices au 1er janvier 2016, "il n'y a pas de notaires solitaires", mais des notaires toujours accompagnés de collaborateurs et d'employés avec eux : c'est un notaire pour sept personnes minimum", a-t-il relevé, avec 49 000 salariés au total, et en ajoutant les notaires au nombre de 9 800, ce sont in fine 58 800 personnes qui travaillent dans les offices.
Ce maillage, a-t-il insisté, "vient incontestablement de l'Histoire". "On ne peut pas parler du notariat sans parler un minimum de son histoire. Les notaires du Châtelet ont été créés par Louis IX, Saint-Louis en 1270, et ça je ne l'oublie jamais quand moi, notaire à Paris, je me dis "d'où est-ce que je viens ? Et où je vais ?"".

Poursuivant cette réflexion, Me Bruno CHEUVREUX, tout en se disant favorable à la liberté d'installation, a cependant mis en garde contre le risque d'émiettement qu'elle peut induire. Pour le contrer, rien de mieux que l'entreprise notariale de pair avec une inter-professionnalité, mais par le haut, via des holdings qui permettront de fédérer les acteurs tout en assurant "l'indépendance dans l'interdépendance".

Les nouveaux pouvoirs confiés à l'Autorité de la concurrence tendent vers une régulation sectorielle

Les nouveaux pouvoirs confiés à l'Autorité de la concurrence en matière de liberté d'installation lui confèrent "un pouvoir d'orientation qui relève plus de la régulation sectorielle que du droit commun de la concurrence", a souligné M. LASSERRE. Me Loraine DONNEDIEU de VABRES, avocate à la Cour d'appel de Paris, associée et membre du conseil de gérance du cabinet Jeantet, s'est interrogée sur la façon dont l'Autorité pourrait user de ces nouveaux pouvoirs, au-delà des dispositions spécifiquement prévues par la loi Macron.
"Est-ce que l'Autorité envisage de faire usage de son pouvoir d'auto-saisine sur des questions de concurrence et donc d'interpeller les professions réglementées au-delà des pouvoirs qu'elle a dans le cadre de cette Autorité sectorielle que vous êtes devenu ?", a-t-elle demandé à M. LASSERRE. Elle a également questionné le président de l'Autorité de la concurrence sur la possibilité de recours en annulation liés à ces nouvelles compétences reposant sur des avis, de droit "souple", et non sur des décisions à proprement parler, mais qui n'en exerceront pas moins une influence significative sur le comportement des acteurs.

M. LASSERRE a rappelé en effet que, si l'Autorité acquiert "au-delà de la régulation tarifaire, des responsabilités qui se rapprochent d'une régulation sectorielle", celles-ci ne s'accompagnent pas d'un pouvoir de décision. L'Autorité "va avoir un pouvoir de conviction, d'initiative, de proposition". Ces différentes prises de positions pourront faire l'objet de contentieux, a-t-il souligné. "Le Conseil d'Etat a admis la recevabilité plus large des recours contre les actes dits de droit mou des autorités de régulation, notamment les prises de position qui peuvent avoir une influence significative sur la vie économique ou le comportement des entreprises. Et nous sommes certainement en plein là-dedans", a-t-il reconnu. Une possibilité de recours qui convient au président de l'Autorité de la concurrence. "Qu'une autorité indépendante soit soumise au contrôle du juge, c'est une bonne incitation qui pèse sur le régulateur. Et moi, ça ne me choque pas que nous ayons une corde de rappel qui est le regard d'un juge qui va réexaminer le bien-fondé de nos décisions".

Au-delà des "commandes politiques ou législatives" sur les professions réglementées, l'Autorité de la concurrence n'exclut pas de prendre des initiatives de son propre chef. "En terme de professions réglementées, les commandes ont été nombreuses, massives, ont suscité un travail de notre part très important. Et par conséquent, nous nous concentrons sur ces commandes plus que sur des activités d'initiative.
Mais nous ne l'excluons pas du tout dans le futur", a expliqué M. LASSERRE. "Nous avons ouvert des enquêtes d'initiative dans le domaine de la santé, du médicament, etc. Nous n'excluons absolument pas que le secteur des professions juridiques fasse l'objet d'enquêtes d'initiatives pour scruter le fonctionnement concurrentiel de ces secteurs. Mais c'est une question d'allocation des ressources et de priorités", a-t-il précisé.

Au terme de la table ronde, le président de l'Autorité de la concurrence a voulu insister sur deux points. D'une part, il s'est réjoui que les différentes professions représentées revendiquent fortement leur qualité d'acteurs économiques, et d'entreprises. A ses yeux, il s'agit d'"acteurs de la confiance de l'économie qui est un moteur de l'économie". D'autre part, il a rejoint ses interlocuteurs pour voir dans ces questions un débat sur la modernisation de secteurs qui passent de la réglementation à la régulation.
Une régulation porteuse d'incitations. "Je ne crois pas à l'auto-régulation" qui a ses limites, a-t-il affirmé. Les professionnels doivent être "stimulés par des incitations qui viennent de l'extérieur et qui viennent de régulateurs", a ainsi défendu M. LASSERRE, d'une "régulation bien conçue, moderne, incitative, mais aussi de la concurrence". Car la concurrence, "c'est aussi l'obligation de se dépasser sur d'autres paramètres qui sont la qualité, l'innovation, justement ce rapport de confiance qui va naître avec l'utilisateur et le client. Et c'est toute l'ambition de cette loi que de construire ces bonnes incitations", a-t-il conclu.

Lors d'une table ronde organisée par le cabinet CARLARA et animée par Me Edouard de LAMAZE, avocat à la cour d'appel de Paris, associé du cabinet Carbonnier, Lamaze, Rasle et Associés (CARLARA), et Me Hervé LECUYER, également associé du cabinet CARLARA, professeur à l'Université Panthéon-Assas (Pars II), Mme Carole CHAMPALAUNE, directrice des Affaires civiles et du Sceau au ministère de la Justice, et M. Bruno LASSERRE, président de l'Autorité de la concurrence, ont débattu de l'impact de la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite "loi Macron", du 6 août 2015, sur l'évolution des professions libérales, en présence de plusieurs personnalités représentant les professions concernées.

C'est la première fois que nous avons une réforme d'ampleur, a tenu à souligner M. Bruno LASSERRE. Relevant l'ambition très vaste de la loi d'août 2015 en la matière et l'importance de la progressivité qui y est attachée, le législateur reconnaissant la nécessité du temps et des cycles à sa pleine mise en œuvre, le président de l'Autorité de la concurrence voit là, pour s'en féliciter, la marque d'un certain pragmatisme.

D'une façon plus générale, a, de son côté, relevé Mme Carole CHAMPALAUNE, la loi Macron est inspirée, dans ce secteur des professions réglementées comme dans d'autres, par l'idée d'aller rechercher partout comment lever les freins à la croissance. Pour autant, le Gouvernement a veillé à prendre en compte les spécificités de ces professions qui les font concourir au service public de la justice.
Spécificités qui ont logiquement conditionné également le modèle de régulation à leur appliquer qui s'est voulue proportionnée et adaptée.

Création de sociétés pluri-professionnelles d'exercice (SPE)

  • Jusqu'à neuf professions pourront exercer au sein d'une même SPE

La loi Macron, porteuse d'un changement d'approche radicale pour les professions du droit et du chiffre et d'un renforcement de leur compétitivité, a souligné Me Edouard de LAMAZE, a prévu une innovation majeure avec la création de sociétés ayant pour objet l'exercice en commun de plusieurs de ces professions réglementées, les sociétés pluri-professionnelles d'exercice (SPE).
Celle-ci découle directement de l'article 25 de la directive Services (2006/123/CE) qui interdit les restrictions aux partenariats pluri-professionnels entre professions réglementées, a-t-il rappelé. Une ordonnance du 31 mars 2016 précise les modalités de ces SPE qui peuvent être créées depuis le 1er juillet et composées de 2 à 9 des professions suivantes : avocat, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, commissaire-priseur judiciaire, huissier de justice, notaire, administrateur judiciaire, mandataire judiciaire, conseil en propriété industrielle et expert-comptable. "Cet outil se caractérise par sa souplesse au niveau des formes sociales qui pourront être utilisées puisqu'elles seront toutes possibles, à la seule exception de celles qui confèrent à leurs membres la qualité de commerçant", a souligné Mme CHAMPALAUNE.
Cette souplesse connaît cependant des limites au regard notamment des exigences posées en termes de capital et d'exercice. En effet, la détention du capital sera encadrée puisque celui-ci devra être détenu en totalité, directement ou indirectement, par des personnes qui exercent l'une des professions exercées au sein de la société. De même, les sociétés ne pourront accomplir les actes d'une profession déterminée que par l'intermédiaire d'un de leurs membres ayant qualité pour exercer cette profession, a-t-elle rappelé.
Les sociétés ne pourront exercer les professions constituant son objet social qu'après avoir été déclarées auprès des autorités compétentes. Enfin, a précisé Mme CHAMPALAUNE, chaque associé répondra sur l'ensemble de son patrimoine des actes professionnels qu'il accomplit et la société sera par ailleurs solidairement responsable avec lui.

Outre la mise en œuvre des SPE, la loi joue sur d'autres leviers d'action. Ainsi, s'agissant des périmètres d'exercice des différentes professions concernées, la réforme instaure quelques évolutions dans l'activité de certaines d'entre elles. C'est le cas notamment pour les huissiers de justice, et les commissaires priseurs judiciaires qui ont désormais la possibilité de se voir confier des mandats de justice dans des procédures de liquidation des entreprises, ou de redressements professionnels s'agissant de petites liquidations.
Ou encore avec la création d'une procédure spécifique de recouvrement de petites créances avec la possibilité pour les huissiers de justice de délivrer un titre exécutoire. La réforme va également permettre le rapprochement de certains acteurs avec la création d'une nouvelle profession, celles des commissaires de justice qui rassemblera les activités des huissiers de justice et de commissaires priseurs judiciaires, a-t-elle détaillé. Autre levier, celui de l'accès qui a été modifié pour certaines de ces professions avec à l'œuvre une triple volonté : une diversification sociologique, un renouvellement démographique, et l'application du principe méritocratique. Ainsi par exemple, est mis en place un concours s'agissant des greffiers de tribunaux du commerce, ou encore la création d'un nouveau diplôme pour les administrateurs et les mandataires judiciaires.
Autant de démarches volontaristes pour augmenter le nombre de professionnels et diversifier le recrutement dans l'intérêt des entreprises, a fait valoir Mme Carole CHAMPALAUNE.

Notons qu'un ensemble de décrets portant sur les modalités d'application de l'ordonnance du 31 mars 2016 est paru le 30 juin au Journal Officiel.

S'agissant des professions du chiffre, si la profession d'expert-comptable fait bien partie de celles qui pourront désormais être partie prenante des SPE, ce n'est pas le cas, en revanche, de la profession de commissaire aux comptes qui demeure en dehors du champ de la réforme, a déploré pour sa part M. Philippe CASTAGNAC, président-directeur général de Mazars, rejoint en cela par Me Edouard de LAMAZE. Or, "une immense majorité d'experts-comptables sont aussi commissaires aux comptes et vice-versa. La dualité d'exercice est très forte", a-t-il souligné. En conséquence, ces structures hybrides, qui, pour les premières dépendent de l'Ordre des experts-comptables et sont placées sous la tutelle de Bercy, alors que les secondes sont rattachées à la Compagnie nationale des commissaires aux comptes placée sous la tutelle du ministère de la Justice, devront à l'avenir limiter leur activité à la seule expertise comptable si elles veulent tirer profit de la loi Macron.
A moins que le décret ne permette de conserver la structure hybride et que l'expert-comptable puisse rejoindre, en tant que personne physique, la SPE. Dans ce cas, qu'en sera-t-il de l'économie du système et des économies d'échelle attendues, s'est interrogé M. CASTAGNAC pour qui on aboutit, de fait, à une quasi impossibilité pour les experts-comptables commissaires aux comptes de rentrer dans le cadre de la loi Macron. Et de s'interroger : n'y aurait-il pas derrière la réforme de l'audit au niveau européen (ndlr : qui devait entrer en vigueur pour sa part le 17 juin dernier) et derrière la loi Macron en France, une volonté implicite de vouloir séparer et isoler la fonction d'audit légal, qui requiert une forte indépendance, rendant de facto quasi impossible l'association avec d'autres professions juridiques. Avec, à l'arrivée, une forte concentration dans ce secteur, a-t-il prédit.

Enfin mise en œuvre, cette idée de l'inter-professionnalité, concrétisée par la loi Macron, n'est pourtant pas une idée neuve, comme l'a rappelé Me de LAMAZE. "En mars 2009, le rapport Darrois préconisait déjà un rapprochement entre les professions du chiffre et du droit (…). Il s'agissait d'un vieux serpent de mer.
En effet, le principe de l'inter-professionnalité d'exercice a été voté en France dès 1966 avec la création des sociétés civiles professionnelles, et, avait été repris dans la loi de 1990 sur la fusion des professions. Mais il est resté lettre morte faute de décret pour le mettre en œuvre, faute surtout de consensus des professionnels", a-t-il souligné.

L'inter-professionnalité d'exercice, qui voit désormais le jour, est à la fois complémentaire et concurrente d'une autre forme d'inter-professionnalité, l'inter-professionnalité capitalistique qui fut, pour le coup, sous la forme de holding des professions libérales, le résultat d'une instance de concertation avec les professions concernées que Me Edouard de LAMAZE pilota à l'époque en tant que délégué interministériel aux professions libérales, fonction qu'il assuma de 1996 à 2002.
Le fruit de ce travail a débouché sur la loi Murcef de 2001 (loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier) qui créa le dispositif des sociétés de participations financières de professions libérales (SPFPL). Pour comprendre la genèse de cette réforme, il faut mentionner le rapport Nallet, qui, en 1999, a rappelé Me de LAMAZE, "évoquait pour la première fois l'idée d'une inter-professionnalité capitalistique et professionnelle libérale, se faisant l'écho de la profession d'avocat face au développement extrêmement concurrentiel du marché du droit des affaires en France et en Europe".
Cependant, cette notion était alors conçue dans une approche essentiellement mono-professionnelle. C'est dans le prolongement du rapport Darrois de 2009 qui, outre la grande profession du droit à laquelle il appelait, recommandait un approfondissement de l'inter-professionnalité capitalistique, que la loi du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions réglementées est intervenue. Elle "a perfectionné et consacré ce principe d'inter-professionnalité capitalistique des professions libérales en l'étendant aux professions du chiffre" ; puis le décret du 19 mars 2014 "a enfin rendu possible la création des holdings réellement interprofessionnelles entre les professionnels du chiffre, du droit et de l'ensemble des professions réglementées".

En conséquence, co-existent aujourd'hui deux dispositifs, a-t-il résumé : d'une part, les holdings qui ne s'intéressent pas à l'exercice des professions mais permettent de répondre aux besoins croissants en capitaux des entreprises libérales ; et d'autre part, les sociétés pluri-professionnelles d'exercice, SPE, qui ne remettent pas en cause l'approche des holdings mais qui touchent à l'exercice complémentaire et fusionnel des professions réglementées.

  • Conflits d'intérêts et secret professionnel

La mise en œuvre de l'inter-professionnalité n'est pas sans poser de nombreuses questions, celle des conflits d'intérêts notamment. "L'ordonnance prévoit à cet égard des obligations déclaratives puisque tous les professionnels exerçant au sein de ces sociétés devront s'informer mutuellement des liens d'intérêt qui sont susceptibles d'affecter leur exercice.
Et avec ces informations, il appartiendra aux professionnels d'agir conformément à leur déontologie propre, qui les invite évidemment à décliner celles des missions qui seraient susceptibles de faire émerger un conflit d'intérêt", a expliqué Mme CHAMPALAUNE.

L'ordonnance prévoit en outre un aménagement concernant le secret professionnel, a-t-elle rappelé. Un professionnel exerçant au sein d'une SPE pourra ainsi communiquer des informations relatives à son client aux autres membres de la société pour faciliter l'exercice de la mission qui lui a été confiée, sous réserve que ledit client ait été préalablement informé, et ait donné son accord.
Plus généralement, l'ordonnance encadre la relation contractuelle entre la société et son client, ou la désignation de la société au titre d'un mandat de justice, de façon à préserver le libre choix du client ou du juge. Le client devra ainsi être informé de l'ensemble des prestations que la société exerce et désignera les professionnels auxquels il entend confier ses intérêts.

  • Les inquiétudes des avocats

"L'inter-professionnalité pour les avocats, nous l'avons voulue pour une raison essentielle, c'est parce qu'en termes de productivité, c'est rentable", a réagi le président de la Conférence des bâtonniers Yves MAHIU, en soulignant toutefois que la profession nourrissait "quelques inquiétudes" sur le sujet. "Cette inquiétude, elle résulte dans la perte de l'indépendance. Les professionnels que sont les avocats, les notaires, les experts-comptables, ce sont des gens indépendants.
Posons-nous la question de savoir si leur réunion n'est pas de nature à leur faire perdre cette indépendance, au point de provoquer des catastrophes", a-t-il alerté. Selon M. MAHIU, "c'est de l'indépendance que découle la confiance que le client met dans le professionnel". Or, "à partir du moment où le client peut se poser la question de la réelle indépendance de son conseil exerçant au sein d'une structure avec d'autres professionnels qui n'ont pas forcément la même conception de la déontologie, à partir du moment où on assistera nécessairement à un affaiblissement du secret professionnel, qui sera partagé avec les associés", et de la gestion des conflits d'intérêts - car l'obligation déclarative ne réglera certainement pas tout -, "ce sont les avocats qui paieront le prix de l'inter-professionnalité", a-t-il mis en garde.

Me Jean-Michel DARROIS, avocat à la cour d'appel de Paris, associé du cabinet Darrois Villey Maillot Brochier et Associés, et auteur en 2009 d'un rapport sur les modalités de création en France d'une grande profession du droit (cf. supra), y voit au premier chef la satisfaction de l'intérêt du client qui, dans la foulée, devrait améliorer la rentabilité de la profession. Il n'en nourrit pas moins quelques inquiétudes également. "Ce que je crains pour la profession d'avocat, c'est l'éclatement.
On voit deux mouvements : d'une part les avocats qui souhaitent demeurer essentiellement des hommes de contentieux ; d'autre part les avocats d'affaires. Enfin, les magistrats qui viennent alimenter cette distinction introduite par les professionnels eux-mêmes. Les magistrats ne semblent reconnaître le secret professionnel qu'aux avocats désignés par un client compromis dans une affaire pénale", alors que les autres n'y auraient pas droit, a-t-il souligné. "Alors il pourra y avoir des sociétés inter-professionnelles entre des avocats d'affaires, et des notaires, et des experts-comptables, lorsqu'au fond, ils auront une approche commune de la vie juridique et économique et qu'ils souhaitent avoir la même place dans la société. Et alors là, une partie de la profession d'avocat serait exclue. Et ce serait un drame, et pour les avocats, et pour notre société", a-t-il ajouté.

Me William FEUGERE, membre du bureau du Conseil national des barreaux (CNB), a rappelé que l'inter-professionnalité, voulue tout d'abord sur le terrain des holdings, puis sur celui dit fonctionnel, l'a été en pensant notamment aux jeunes professionnels. Elle a été construite, souhaitée en lien avec les experts-comptables, a-t-il relevé. Si la loi Macron a été un coup de fouet pour la profession d'avocat, de nombreuses questions restent cependant encore en suspens. "La loi ne va pas assez loin, ou en tout cas, ne résout pas les problèmes et nous continuons à avoir des débats internes, importants".
Il reste des sujets tel l'unicité d'exercice. "Certains de nos amis, concurrents parfois, peuvent avoir plusieurs structures, nous pas". Pour sa part, Me de LAMAZE s'est interrogé sur la question de savoir, en effet, si l'avocat pourra scinder son activité entre, d'une part, celle qui concerne sa structure classique, d'exercice, et d'autre part, son activité qu'il pourra développer aux côtés d'autres professionnels dans le cas des SPE. Autre question soulevée par Me FEUGERE, celle de l'ouverture du capital : ne peut-on aller plus loin ? Différemment ? Il y a ainsi plein de sujets sur lesquels il faut avancer et on peut continuer à aller encore plus loin, a-t-il souhaité.

Nouvelle méthode de fixation des tarifs

  • Un principe de correspondance avec les coûts

Abordant certains aspects de la réforme, Me Hervé LECUYER a, pour sa part, rappelé que la loi Macron avait introduit une innovation quant à la fixation des tarifs de certaines professions juridiques réglementées (notaires, huissiers de justice, greffiers des tribunaux de commerce, administrateurs judiciaires, mandataires judiciaires, commissaires-priseurs judiciaires).
Selon la loi, une grille des tarifs, révisée tous les cinq ans, est fixée par décret après avis de l'Autorité de la concurrence investie, ici, d'un pouvoir consultatif. Ce rôle de "tiers impartial" sera essentiel, a estimé Me LECUYER. Complétant ces prérogatives, la loi Macron donne de surcroît un pouvoir d'initiative à l'Autorité qui pourra ainsi décider de s'auto-saisir pour formuler un avis au ministre compétent et proposer éventuellement des modifications s'agissant de la tarification de tel ou tel acte pour telle ou telle profession, s'est félicité pour sa part M. Bruno LASSERRE. La solution proposée ne liera pas le pouvoir réglementaire, mais l'invitera à faire autrement.

Quant aux règles de fixation des tarifs, celles-ci sont précisées dans le décret du 26 février 2016 qui dispose que ceux-ci seront censés couvrir à la fois, "les coûts pertinents du service rendu et une rémunération raisonnable définie sur la base de critère objectifs", a détaillé Me LECUYER. Or, comment approcher la vérité des coûts ?
Comment définir une rémunération raisonnable ? Le gouvernement a retenu des critères endogènes au sein de chaque profession. N'est-il pas dommage de renoncer à comparer la profession concernée avec d'autres professions dans une approche de type exogène ? D'autre part, la rentabilité moyenne d'une profession a-t-elle un sens, compte tenu des fortes disparités en son sein, s'est interrogé Me LECUYER avant de pousser plus loin la réflexion : à quoi sert véritablement une réforme de tarifs s'il n'y a pas, en parallèle, une réforme de la fiscalité ? Ainsi a-t-il regretté une réforme qui peut sembler "contradictoire ou inaboutie" dans sa mise en œuvre et qui "manque son objectif qui est, tout de même, celui de diminuer les coûts finaux pour le consommateur". Ultime interrogation parmi d'autres, partagée avec Me de LAMAZE : comment les professionnels pourront-ils réaliser les nécessaires gains de productivité ?
Car la réflexion, ici, est urgente eu égard au retard pris en Europe par rapport aux Etats-Unis en matière de productivité des services réglementés, a-t-il mis en garde.

Quant à la méthode choisie par le pouvoir réglementaire, celle-ci consiste à approcher la réalité des coûts acte par acte, et non de façon globale. Ce dispositif rencontrera-t-il l'approbation de l'Autorité de la concurrence, s'est interrogé Me LECUYER. "Personnellement, j'aurais mille fois préféré une approche globale, pour plusieurs raisons. (…)
Aucune activité de service ne cherche à faire coller les prix à la réalité des coûts de chaque acte ou de chaque prestation. Comme vous tous qui êtes prestataires de service, il y a des cas dans lesquels vous perdez de l'argent sur un client et vous allez en gagner sur d'autres. Et ce qui guide votre regard, c'est la marge engendrée en moyenne que vous allez dégager", lui a répondu M. Bruno LASSERRE. A cet égard, Me Bruno CHEUVREUX, co-fondateur et associé de Cheuvreux Notaires, a tenu à mettre en garde contre cette approche, non contre la méthode globale elle-même, mais contre l'incertitude dont elle serait porteuse, anxiogène pour la profession dans l'hypothèse de changements de règles en cours de route.
Pour sa part, M. Patrice GRAS, président de l'Union nationale des huissiers de justice (UNHJ), n'a pas caché son scepticisme face à une approche globale qu'il jugerait dangereuse.

A ce stade, la régulation tarifaire, acte par acte, va imposer aux professionnels la tenue d'une comptabilité analytique et la remontée d'une série de données comptables et financières. "Heureusement, le Conseil d'Etat a estimé que la construction d'une régulation tarifaire acte par acte nécessitait du temps et la construction d'une base de données très ambitieuse qui n'existe pas aujourd'hui.
Il a donc autorisé le gouvernement à mettre en place à titre transitoire une régulation, avec un "price cap", justement globale et transitoire" fixé à moins 5 %", a souligné M. LASSERRE. Ainsi, le décret du 26 février 2016 et les arrêtés l'accompagnant entrainent-ils une baisse globale de 2,5 % des tarifs des notaires et huissiers de justice, et de 5 % des tarifs des greffiers de tribunaux de commerce, a détaillé Me LECUYER.

Me Eric PIQUET, ancien président de l'UNHJ, a soulevé la question de la péréquation prévu par le décret du 26 février 2016. "La péréquation ne prend pas en compte les prestations fournies par les huissiers de justice en matière pénale, de telle sorte que le tarif fixé sur le fondement du décret ne permet pas d'assurer une péréquation au profit des prestations en matière de service pénal. Ou, à l'inverse, les coûts lourds des prestations pénales ne sont pas pris en compte pour la péréquation des activités soumises à la tarification", a-t-il regretté.

  • Possibilité de remises

Alors que les émoluments des notaires seront plafonnés à 10% du prix du bien pour les achats de petit prix - moins de 250 000 euros, l'innovation principale réside sans doute ici dans la possibilité de remise par les notaires, a relevé Me LECUYER. En effet, la réforme introduit la possibilité pour ceux-ci de remises plafonnées à 10 % pour tout acte dépassant 150 000 euros, remise qui devra être consentie à l'ensemble des clients de l'office.
Une disposition qui ne va pas assez loin selon l'Autorité de la concurrence qui pour sa part, est favorable à un taux de remise de 20 %. "Nous aurions aimé que cette faculté d'accorder des remises soit à la fois plus souple et plus large", a affirmé ainsi M. LASSERRE. "Ce n'est que pour l'immobilier d'entreprise, dans le cas où la valeur du bien dépasse 10 millions d'euros, que des remises peuvent être pratiquées, elles, jusqu'à au moins 40 %. Mais il s'agit d'un marché très étroit, très spécifique, avec une très haute valeur ajoutée, a-t-il expliqué.

"Deuxième regret, nous aurions aimé aller plus loin dans la détarification. La philosophie, c'est de réglementer les prix lorsqu'il existe un monopole. Lorsqu'il n'en existe pas, nous sommes favorables à plus de liberté, sous entendu plus d'ouverture aussi des professionnels, et d'avoir une concurrence par les mérites, la qualité, l'innovation…", a-t-il également ajouté.

Le maintien de la proportionnalité du tarif au-delà d'un certain prix, constitue selon M. LASSERRE une importante concession accordée aux notaires. "La rente, elle est où ? Elle est généralement là où la rémunération excède largement les coûts. Et tout le monde est d'accord pour dire que la proportionnalité, notamment pour les très grosses mutations immobilières, conduit à des rémunérations qui sont largement déconnectées des coûts. Personne ne peut le contester", a-t-il affirmé.

Le président de l'Autorité de la concurrence est en revanche très favorable à la mesure consistant à plafonner à 10 % de la valeur du bien les émoluments du notaire, avec un tarif minimum de 90 euros. En effet, a-t-il fait valoir, "la Loi Macron, en imposant la proportionnalité du tarif au-delà d'un certain prix, a fait une concession majeure. Il n'est donc pas choquant qu'à l'autre extrême, elle ait considéré que lorsque la valeur du bien est très faible, pour encourager la mobilité du foncier, on invite les professionnels à plafonner leur rémunération à 10 %".
Une disposition qui concerne principalement les ventes de terre ou de biens en milieu rural, ainsi que les cessions de parties communes, caves, parkings, en milieu urbain. "On sait que la vente de certaines parcelles forestières, certaines parcelles rurales, voire des échanges de parties de copropriétés peuvent être entravés par le coût des émoluments qui excèdent souvent la valeur du bien. Et je crois que c'est une réforme qui va encourager la mobilité du foncier, et peut-être encourager certains professionnels à vendre, à échanger, à regrouper des parcelles", a développé M. LASSERRE. Un regret, cependant, a-t-il fait valoir, c'est que les pouvoirs publics ne soient pas allés jusqu'au bout en plafonnant aussi les droits d'enregistrement.

Me Bruno CHEUVREUX, co-fondateur et associé de Cheuvreux Notaires, n'est quant à lui guère en faveur de cette disposition de plafonnement. "Tout ceci va avoir comme conséquence mécanique que vous allez avoir un rejet du notariat rural. 90 euros pour des actes qui, d'après ce que disent les professionnels, mettent 20 heures… et à mon avis prennent effectivement les 20 heures, c'est donc une rémunération, au niveau des coûts par client, qui confine à l'absurde", a-t-il affirmé. Dans un autre cas de figure mettant en jeu les nouvelles règles tarifaires dans le cadre de la pluri-professionnalité entre avocat et huissier de justice, M. Patrice GRAS, président de l'UNHJ, a relevé des situations où la rémunération serait "indigente".
Plus généralement, le président de l'UNAPL (Union nationale des professions libérales) Michel CHASSANG s'est interrogé sur la "finalité réelle de cette réforme". "Est-ce que c'est rendre du pouvoir d'achat aux Français comme on l'a dit ? Est-ce que c'est la fin des rentes de situation pour un certain nombre de professions ? Est-ce que c'est pour dégager de la croissance ? Est-ce que tout ça va bien être au rendez-vous ?", a-t-il égrené, avouant être "très impatient d'une estimation de tout cela". Et de s'interroger sur la question de savoir si, en fin de compte, il n'y aurait pas la "volonté de déréguler pour déréguler".

Une liberté d'installation dans certaines zones

  • Une cartographie établie sur proposition de l'Autorité de la concurrence

La loi Macron prévoit par ailleurs que les notaires, huissiers de justice et commissaires-priseurs judiciaires puissent s'installer librement dans les zones où l'implantation d'offices apparaît utile pour renforcer la proximité ou l'offre de services. Ces zones sont déterminées par une carte établie conjointement par les ministres de la Justice et de l'Economie, sur proposition de l'Autorité de la concurrence, a détaillé Me LECUYER.

Selon M. LASSERRE, cette nouvelle compétence conférée à l'Autorité de la concurrence, d'orientation plus que de régulation, doit répondre à trois objectifs : "rééquilibrer la présence sur le territoire, de manière à faire coller l'offre et la demande ; donner des perspectives aux jeunes, et notamment aux salariés qui souhaitent mener un projet entrepreneurial ; et ne pas menacer la viabilité économique des offices existants, donc la présence est importante, notamment en milieu rural".

La cartographie proposée par l'Autorité de la concurrence concernant l'installation des notaires a été rendue publique le 9 juin (cf. CE du 10/06/2016), au lendemain de cette table-ronde. Sur cette carte, 307 zones ont été délimitées, dont 247 où l'Autorité estime utile de créer des offices de notaires et où l'installation sera donc libre.
En additionnant les besoins dans chacune de ces 247 zones, l'Autorité préconise globalement l'installation de 1 650 nouveaux notaires titulaires de leur office ou associé d'ici 2018, soit une hausse de 20 %. Cela porterait en effet leur nombre à 10 250 contre 8 600 actuellement.

Notons que la cartographie concernant les huissiers de justice et commissaires-priseurs judiciaires sera rendue publique après l'été. Courant juillet, l'Autorité évoquera par ailleurs la situation des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, en se prononçant sur les besoins et le rythme de créations d'études.

  • Donner des perspectives d'installation aux jeunes et aux salariés

L'assouplissement des conditions d'installation des notaires doit, selon M. LASSERRE "donner des perspectives aux jeunes et aux salariés". Rappelons qu'à l'heure actuelle, un notaire qui veut s'établir doit être nommé par le Garde des Sceaux, après avoir été présenté par son prédécesseur dans un office existant, ou sélectionné par concours pour les offices créés ou vacants. Selon le président de l'Autorité de la concurrence, les règles actuelles "ont conduit à une très forte stabilité des notaires et en tout cas, n'ont pas conduit la profession à respecter les promesses qu'elle avait faites en 2008 de créer 10 500 notaires en 2012 et 12 000 en 2015. Ces chiffres ne sont pas aujourd'hui au rendez-vous".

Malmené ces dernières années, le notariat veut désormais se projeter vers l'avenir, a fait valoir le président de la Chambre interdépartementale des Notaires de Paris Pascal CHASSAING. Insistant sur sa véritable utilité dans le monde du droit aujourd'hui, sur "l'identité notariale" et sa mission de service public, il a tenu à rappeler néanmoins la forte présence des notaires sur le territoire.
Avec 4 570 offices au 1er janvier 2016, "il n'y a pas de notaires solitaires", mais des notaires toujours accompagnés de collaborateurs et d'employés avec eux : c'est un notaire pour sept personnes minimum", a-t-il relevé, avec 49 000 salariés au total, et en ajoutant les notaires au nombre de 9 800, ce sont in fine 58 800 personnes qui travaillent dans les offices. Ce maillage, a-t-il insisté, "vient incontestablement de l'Histoire". "On ne peut pas parler du notariat sans parler un minimum de son histoire. Les notaires du Châtelet ont été créés par Louis IX, Saint-Louis en 1270, et ça je ne l'oublie jamais quand moi, notaire à Paris, je me dis "d'où est-ce que je viens ? Et où je vais ?"".

Poursuivant cette réflexion, Me Bruno CHEUVREUX, tout en se disant favorable à la liberté d'installation, a cependant mis en garde contre le risque d'émiettement qu'elle peut induire. Pour le contrer, rien de mieux que l'entreprise notariale de pair avec une inter-professionnalité, mais par le haut, via des holdings qui permettront de fédérer les acteurs tout en assurant "l'indépendance dans l'interdépendance".

Les nouveaux pouvoirs confiés à l'Autorité de la concurrence tendent vers une régulation sectorielle

Les nouveaux pouvoirs confiés à l'Autorité de la concurrence en matière de liberté d'installation lui confèrent "un pouvoir d'orientation qui relève plus de la régulation sectorielle que du droit commun de la concurrence", a souligné M. LASSERRE. Me Loraine DONNEDIEU de VABRES, avocate à la Cour d'appel de Paris, associée et membre du conseil de gérance du cabinet Jeantet, s'est interrogée sur la façon dont l'Autorité pourrait user de ces nouveaux pouvoirs, au-delà des dispositions spécifiquement prévues par la loi Macron. "Est-ce que l'Autorité envisage de faire usage de son pouvoir d'auto-saisine sur des questions de concurrence et donc d'interpeller les professions réglementées au-delà des pouvoirs qu'elle a dans le cadre de cette Autorité sectorielle que vous êtes devenu ?", a-t-elle demandé à M. LASSERRE.
Elle a également questionné le président de l'Autorité de la concurrence sur la possibilité de recours en annulation liés à ces nouvelles compétences reposant sur des avis, de droit "souple", et non sur des décisions à proprement parler, mais qui n'en exerceront pas moins une influence significative sur le comportement des acteurs.

M. LASSERRE a rappelé en effet que, si l'Autorité acquiert "au-delà de la régulation tarifaire, des responsabilités qui se rapprochent d'une régulation sectorielle", celles-ci ne s'accompagnent pas d'un pouvoir de décision. L'Autorité "va avoir un pouvoir de conviction, d'initiative, de proposition". Ces différentes prises de positions pourront faire l'objet de contentieux, a-t-il souligné. "Le Conseil d'Etat a admis la recevabilité plus large des recours contre les actes dits de droit mou des autorités de régulation, notamment les prises de position qui peuvent avoir une influence significative sur la vie économique ou le comportement des entreprises.
Et nous sommes certainement en plein là-dedans", a-t-il reconnu. Une possibilité de recours qui convient au président de l'Autorité de la concurrence. "Qu'une autorité indépendante soit soumise au contrôle du juge, c'est une bonne incitation qui pèse sur le régulateur. Et moi, ça ne me choque pas que nous ayons une corde de rappel qui est le regard d'un juge qui va réexaminer le bien-fondé de nos décisions".

Au-delà des "commandes politiques ou législatives" sur les professions réglementées, l'Autorité de la concurrence n'exclut pas de prendre des initiatives de son propre chef. "En terme de professions réglementées, les commandes ont été nombreuses, massives, ont suscité un travail de notre part très important.
Et par conséquent, nous nous concentrons sur ces commandes plus que sur des activités d'initiative. Mais nous ne l'excluons pas du tout dans le futur", a expliqué M. LASSERRE. "Nous avons ouvert des enquêtes d'initiative dans le domaine de la santé, du médicament, etc. Nous n'excluons absolument pas que le secteur des professions juridiques fasse l'objet d'enquêtes d'initiatives pour scruter le fonctionnement concurrentiel de ces secteurs. Mais c'est une question d'allocation des ressources et de priorités", a-t-il précisé.

Au terme de la table ronde, le président de l'Autorité de la concurrence a voulu insister sur deux points. D'une part, il s'est réjoui que les différentes professions représentées revendiquent fortement leur qualité d'acteurs économiques, et d'entreprises. A ses yeux, il s'agit d'"acteurs de la confiance de l'économie qui est un moteur de l'économie".
D'autre part, il a rejoint ses interlocuteurs pour voir dans ces questions un débat sur la modernisation de secteurs qui passent de la réglementation à la régulation. Une régulation porteuse d'incitations. "Je ne crois pas à l'auto-régulation" qui a ses limites, a-t-il affirmé. Les professionnels doivent être "stimulés par des incitations qui viennent de l'extérieur et qui viennent de régulateurs", a ainsi défendu M. LASSERRE, d'une "régulation bien conçue, moderne, incitative, mais aussi de la concurrence". Car la concurrence, "c'est aussi l'obligation de se dépasser sur d'autres paramètres qui sont la qualité, l'innovation, justement ce rapport de confiance qui va naître avec l'utilisateur et le client. Et c'est toute l'ambition de cette loi que de construire ces bonnes incitations", a-t-il conclu.

 

    --- Fin de la table ronde ---

Mentions légales         -          webdesign amZen