Appel de Francfort des avocats allemands de la défense, Francfort sur le Main, mai 2003

Nous, avocats allemands de la défense, membres des organisations et des associations d’avocats de la défense, de l’Association des avocats allemands (DAV) ainsi que des Avocats et avocats républicain(e)s (RAV), qui avons suivi dans le domaine du droit pénal, de façon critique et constructive, le débat de la commission européenne et de la convention pour la constitution européenne, considérons, après une rencontre début mai à Francfort, que le moment est venu de faire entendre notre voix :

 

Nous nous trouvons à un moment charnière pour la défense démocratique européenne !

Le processus de l’intégration européenne est issu pour nous de la tradition des Lumières européennes : un principe central de celles-ci est le respect de la liberté de chaque citoyen par tout dépositaire étatique ou supra étatique de la souveraineté. Ceci ne peut être garanti que par le strict respect des principes juridiques dérivés de l’idée de liberté. C’est uniquement dans celle-ci que s’enracine la sécurité des hommes.

En tant qu’avocats de la défense, notre tâche consiste à défendre, à renforcer et à protéger les droits de l’individu contre la supériorité du contrôle et des moyens de contraintes étatiques. C’est avec inquiétude que nous constatons que ce point de vue est peu pris en compte dans le processus d’unification européenne et qu’il risque même de disparaître complètement.

Les Etats membres de l’Union Européenne veulent fonder le processus d’intégration européenne sur des principes qui – dans une formule vague – doivent garantir un « espace de liberté, de sécurité et de droit ». Nous observons avec inquiétude que l’actuel projet de constitution européenne donne l’impression qu’au niveau constitutionnel les droits fondamentaux que sont la liberté et la sécurité sont mentionnés côte à côte comme égaux en droit. Mais il n’en est pas ainsi dans les faits. La sécurité n’est garantie que par le respect des droits de l’homme et de la liberté. Mais les acteurs de la politique européenne en matière criminelle – la commission européenne, le Parlement européen, le conseil européen – ne prennent en compte que la pensée sécuritaire et ne se préoccupent que d’une défense des intérêts constitutionnels. A cet égard, il est symptomatique que la convention pour la constitution européenne envisage de créer un procureur européen ayant un rang constitutionnel. Au lieu de protéger les droits de la défense, on ne se préoccupe dans le cadre de l’UE que des détails bureaucratiques du domaine répressif.

L’idée de la liberté tombe dans l’oubli !

Les institutions de l’UE ont naturellement un intérêt fondé à se protéger des fraudes de subvention, de la corruption et des détournements de fonds européens. Mais eu delà, la politique européenne en matière criminelle affirme avoir besoin d’une défense supranationale dans les domaines du blanchiment d’argent, du terrorisme et de la criminalité organisée – concepts qui en raison de leur imprécision ne garantissent pas une délimitation claire et des compétences. Le débat est aujourd’hui presque exclusivement déterminé par les organes exécutifs des gouvernements et des administrations qui se soucient surtout, et c’est dans leur nature même, de l’effectivité et de l’intégrité de l’action étatique. Les mots clés dans ce contexte sont la création déjà achevée d’Europol, de OLAF et d’Eurojust ainsi que la décision-cadre d’un mandat d’arrêt européen. Les institutions européennes ont recours aux outils du droit pénal et sécuritaire et oublient que les garanties juridiques nationales pour la protection de l’individu doivent être complétées au niveau européen car jusqu’à présent, à ce niveau, il n’y a aucune protection juridique effective pour le citoyen individuel. Cette évolution juridique européenne représente une menace pour la capacité de fonctionnement de la défense, légale et indispensable.

Toutes les objections et les propositions alternatives qui ont été faites au nom du principe essentiel de la liberté sont certes encouragées par les institutions mais ne sont pas absolument respectées dans la pratique. Cela apparaît en particuliers dans les documents centraux – les livres verts sur le procureur européen et les garanties de procédure.
On peut déjà prévoir que les législations nationales seront de plus en plus influencées par les décisions-cadres et les directives du conseil et de la commission dans les domaines du droit pénal et du droit sécuritaire. On oublie souvent que cette évolution aura à l’avenir des conséquences sur presque tous les domaines du droit pénal, y compris national.

Nous exigeons :

  • Le droit pénal ne peut être que « l’ultima-ratio » de l’action étatique. Là où des alternatives au droit pénal soient possibles, par exemple par des sanctions administratives, il faut leur donner la priorité ;
  • La décision de savoir où les moyens pénaux sont mis en œuvre doit être transférée des organes exécutifs aux parlements européen et nationaux. Le processus de décision habituel selon lequel les gouvernements et les administrations décident d’abord avant que les parlements enregistrent est une fausse piste ;
  • Il doit y avoir une claire délimitation des compétences des institutions nationales et européennes dans les domaines du droit juridique et sécuritaire ;
  • L’Europe ne devrait être compétence que lorsque une situation problématique – clairement définie et délimitée – ne peut pas être résolue au niveau national de façon satisfaisante ;
  • La mise en place effective et rapide des garanties juridiques déjà nommées par la clarification et ensuite l’élaboration d’une voie judiciaire européenne ou des voies judiciaires nationales correspondantes. La protection juridique du citoyen contre les moyens de contraintes étatiques des institutions européennes ne doit pas être moindre que celle à laquelle il a droit contre les actes du souverain national. Le danger sinon est que le processus d’unification de l’Europe – qui mérité d’être salué en tant que tel – ne débouche sur une suppression rampante des droits fondamentaux des citoyens.

Nous proposons en premier lieu l’ancrage des principes juridiques imprescriptibles issus d’une tradition juridique européenne pluriséculaire dans la législation européenne naissante. Nous renvoyons ici au catalogue des droits de procédure ajouté en pièce jointe. Il faut simultanément s’assurer que les principes juridiques de toutes les institutions européennes qui peuvent intervenir dans les droits du citoyen dans les domaines du droit pénal et du droit sécuritaire sont respectés avec toute l’efficience nécessaire.

Il est urgent que nous agissions en tant qu’avocats de la défense, avant que les gouvernements et les institutions européennes aient créé des faits accomplis sur lesquels il sera difficile de revenir. C’est pourquoi nous appelons toutes les associations européennes d’avocats et d’avocats de la défense à chercher avec nous les moyens appropriés et encore disponibles pour sauver la garantie des droits de la liberté individuelle dans l’UE en cours de formation et pour que l’idée de l’Europe unie ne soit pas compromise. Nous appelons les institutions européennes et la convention pour la constitution à abandonner leur orientation uniquement sécuritaire et à s’engager en faveur d’une protection totale, unifiée et conforme à la justice, des droits de l’accusé et de la défense. Les avocats de la défense et leurs organisations doivent être largement associés au processus décisionnel. Ce n’est qu’en respectant l’imprescriptibilité des droits de l’homme et du citoyen qu’augmentera la légitimation de l’intégration européenne.

Francfort sur le Main, mai 2003


Redaktionell verantworlich :

Priv. Doz. Dr. Stefan Braum, Universität Frankfurt/Main
Rechtsanwältin Dr. Regina Michalke, Frankfurt/Main
Rechtsanwältin Michael Rosenthal, Karlsruhe
Rechtsanwältin Hartmut Wächtler, München

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