Délégué interministériel aux professions libérales

Les Holdings : une chance pour les professions libérales ? par Edouard de Lamaze

Colloque EFE – 1er décembre 2005

Intervention de Me Edouard de Lamaze :

L’origine de cette loi est relativement ancienne. Elle a pour source le processus de consultation et de réflexion qui eut lieu au sein de notre profession et qui aboutit en 1999 au rapport de Henri Nallet. Ce rapport sur les réseaux pluridisciplinaires et les professions du droit fut remis au mois de Juillet 1999, au Premier Ministre de l’époque, Lionel Jospin.

 

Le rapport Nallet était la résultante d’une large consultation auprès des avocats d’affaires à laquelle j’ai pris une part active en ma qualité, à l’époque, de Délégué Interministériel chargé de toutes les questions des professions libérales, du secteur de la santé, du secteur technique et bien entendu du secteur juridique et judiciaire. La demande d’interprofessionalité était très forte dans ces trois secteurs, même si elle y était vue de manière différente par chacune des professions concernées.

Se faisant l’écho des revendications de notre profession face au développement extrêmement concurrentiel du marché du droit des affaires en France et en Europe durant les années 80 et 90, ce rapport mettait en exergue la nécessité pour les cabinets d’avocats français de concurrencer non seulement les organisations pluridisciplinaires mais aussi les cabinets anglo-saxons dans le secteur décisif du droit des affaires. Ce rapport soulignait, par la même, l’absence de dispositifs juridiques et fiscaux français appropriés qui auraient permis aux cabinets français de pouvoir concurrencer les « law firms » anglaises et américaines à la fois en France mais aussi à l’étranger. Le diagnostic fait par la profession était clair. Il manquait notamment un type de structure juridique adéquate pour développer et bâtir des réseaux français de cabinets d’avocats d’affaires pouvant soutenir la comparaison avec ces « law firms ».

La conséquence du rapport Nallet sur ce point fut l’initiative par le Sénateur Philippe Marini du dépôt d’un amendement devant le Sénat donnant la faculté de créer des sociétés holding de participations financières de sociétés d’avocats.

Cet amendement prévoyait la création de sociétés « holding », sous la forme de sociétés de participations d'avocats, dans le cadre d'une modification de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés d'exercice libéral des professions libérales soumises à statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé.

Cet amendement fut adopté par le Sénat contre l’avis du Gouvernement et de la Délégation Interministériel aux Professions Libérales qui était opposée à un texte monoprofessionnel. Il fut dès lors rejeté par l’Assemblée Nationale pour un certain nombre de raisons qui sont notamment explicitées dans le rapport de la député Nicole Bricq, rapporteure de cette loi.

Ainsi le Gouvernement et l’Assemblée Nationale, tout en reconnaissant et approuvant l’objectif de cet amendement, c’est à dire moderniser les modalités d'exercice de la profession d'avocat et combler une situation d'infériorité vis-à-vis de ses concurrents anglo-saxons, dans la perspective des conclusions du rapport de M. Henri Nallet sur les réseaux pluridisciplinaires, n’était pas satisfait par ce texte. Il lui reprochait plusieurs choses :

En premier lieu, l’amendement Marini ne visait que les seuls avocats, alors que la loi de 1990 concernait l'ensemble des professions à statut ou dont le titre est protégé, notamment les autres professions juridiques. Dès lors il apparaissait nécessaire pour le Gouvernement d’élargir le texte à l'ensemble des professions libérales concernées et tenant compte des résultats de la concertation synthétisée dans le rapport Nallet.

En deuxième lieu, l'amendement du Sénat n'abordait pas la question des sociétés « holding » à caractère interprofessionnel, ce qui offrait des perspectives plus restreintes que les attentes des professionnels.

En troisième lieu, le dispositif présentait quelques imperfections, notamment concernant la suppression de la faculté de versement d'une prestation compensatrice en cas de départ d'une société en participation.

Aussi le Gouvernement sur proposition de la Délégation Interministériel aux Professions Libérales et de la Chancellerie repris l’initiative et modifia le texte de l’amendement de manière substantielle.

Tout d’abord, la création de sociétés « holding » sous la forme de « sociétés de participations financières de professions libérales » pour l'ensemble des professions libérales, et non plus seulement la profession d'avocat.

D’autre part, il permit l'ouverture du capital des sociétés d'exercice libéral créées par la loi de 1990 aux professionnels n'exerçant pas au sein de la société, aux autres sociétés d'exercice libéral exerçant la même profession et aux sociétés de participations financières de professions libérales.

S’agissant des sociétés holding, le texte proposé par le Gouvernement pour l'article 31-1 de la loi de 1990 prévoyait donc :

- au premier alinéa, la faculté pour des personnes physiques ou morales exerçant une ou plusieurs professions libérales soumises à statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, de constituer des sociétés de participations financières de professions libérales ;

- au deuxième alinéa, une option entre les différentes formes de sociétés de capitaux, la société à responsabilité limitée (SARL) - ce qui vise naturellement l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) -, la société par action simplifiée (SAS), la société anonyme (SA) ou la société en commandite par actions (SCA) ;

- au troisième alinéa, une condition de détention majoritaire du capital d'une « holding » par des personnes physiques ou des sociétés exerçant les mêmes professions que les sociétés filiales et un régime, fixé par décret en Conseil d'Etat, de contrôle des participations de manière à ne pas mettre en péril le respect de l'indépendance et des règles déontologiques des professions concernées ;

- au quatrième alinéa, la transparence, avec l'obligation d'indiquer la mention « sociétés de participations financières de professions libérales » dans la dénomination sociale d'une telle société ;

- au cinquième alinéa, la direction des sociétés de participations financières de professions libérales par des personnes exerçant les professions concernées ;

- au sixième alinéa, la forme nominative des actions des sociétés de participations financières constituées sous forme de SA, SCA et SAS ;

- au septième alinéa, l'inscription des sociétés de participations financières auprès des instances ordinales concernées, afin d'assurer le respect des règles de déontologie ;

- au huitième alinéa, l'exclusion de la profession de greffier des tribunaux de commerce du champ d'intervention des sociétés de participations financières de professions libérales, en raison des règles propres à l'organisation judiciaire et du principe de l'indépendance de chaque juridiction ;

- au neuvième et dernier alinéa, un décret en Conseil d'Etat pour définir les modalités d'application du régime des sociétés de participations financières de professions libérales, et, notamment, les modalités d'agrément des sociétés qui prendraient des participations dans des sociétés titulaires d'offices publics ou ministériels.

Au final, ce dispositif apportait selon le Gouvernement une réponse aux demandes en vue d'obtenir un régime favorable au développement des réseaux de professionnels libéraux.
Tout ce mécanisme de holding fut finalement adopté par le parlement sous la forme d’un article inséré à la loi MURCEF du 11 décembre 1990.

Le texte n’était pas forcément complet. Il soulevait un certain nombre d’ambiguïtés. Il avait toutefois le mérite de poser les bases juridiques de ce nouveau dispositif : la holding de professions libérales.

Malheureusement il fallut attendre plus de deux ans et demi pour que les décrets d’application aux professions juridiques et judiciaires fussent publiés.

Plusieurs projets de décrets furent proposés, dont un qui fût rejeté par le Conseil d’Etat comme ne prenant pas en compte suffisamment l’avancée interprofessionnel, par secteur, mise en place par la loi nouvelle.

Entre-temps, la loi professions du 11 février 2004 compléta les dispositions de la loi MURCEF sur les holdings de professions libérales par son article 72.

D’une part, l’article 72 supprima le caractère exclusif de l'objet social de la société de participations financières de professions libérales et d’autre part permis à ces sociétés de prendre des participations dans des groupements étrangers ayant pour objet l'exercice de la même profession.
Pour comprendre l’explication de cet article 72, autant se référer au texte du Sénateur (Jean-René Lecerf), rapporteur de ce texte.
Ces modifications proposées s'inspirent en fait des préconisations d'un groupe de travail sur les structures d'exercice en groupe auquel les représentants des professions libérales ont participé.

Le Sénateur Lecerf rappelle qu’une des raisons des dispositions de la loi MURCEF était notamment d’offrir aux professions libérales et notamment aux avocats une structure d'exercice en groupe équivalente à celle des « partnerships anglo-saxons ».

Si la loi MURCEF avait laissé une grande liberté aux associés pour organiser leurs relations au sein de ces sociétés, elle avait néanmoins limité l'objet de ces structures, dédié exclusivement aux prises de participations dans le capital des sociétés d'exercice libéral ayant pour objet l'exercice d'une même profession (premier alinéa de l'article 31-1 de la loi de 1990). Son activité était donc nécessairement et strictement « monoprofessionnelle ».

L'emploi de l'adjectif « exclusif » dans la loi MURCEF avait soulevé certaines difficultés d'interprétation quant à la possibilité pour les sociétés de participations financières de professions libérales d'exercer des activités accessoires à la détention de parts ou d'actions de sociétés d'exercice libéral.

En effet, certains déduisaient des termes de la loi que les sociétés de participations financières présenteraient les caractéristiques de holdings pures, ne disposant pas de la faculté de développer en leur sein une activité professionnelle propre.

Cependant, la doctrine avait pu relever à juste titre que, dès la publication de la loi, l'esprit du texte devait conduire à une interprétation contraire.

A la faveur de cette thèse, on pouvait souligner que le régime prévu par la loi paraît plus restrictif que celui applicable aux sociétés holdings de droit commun (groupes de sociétés industrielles ou commerciales) autorisées à fournir des prestations annexes par l'intermédiaire de leurs filiales.

En outre, l'exercice d'une activité accessoire présente des avantages fiscaux indéniables. En effet, les sociétés de participations financières pourraient élargir leurs sources de revenu, théoriquement limitées aux dividendes sur lesquels il n'est pas possible d'imputer les charges, notamment celles résultant des intérêts d'emprunt.

Cette règle d’objet exclusif avait donc des conséquences fiscales extrêmement importantes car elle limitait considérablement d’un point de vue fiscal l’attrait de ces holdings qui par ailleurs ne pouvaient bénéficier des avantages de l’intégration fiscale.
Je pense que ce point sera plus amplement développé par notre Confrère Prats, cet après-midi.

Au bout du compte, l’article 72 de la loi Professions a tendu à étendre doublement l'objet des sociétés de participations financières pour d’abord permettre l'exercice d'une activité accessoire avec la suppression de la référence au caractère exclusif de l'objet social de ces sociétés holding, ce qui lèverait peut-être l'ambiguïté résultant de la loi MURCEF sur ce point.

Il était toutefois prévu un encadrement de cette extension. En effet, la fourniture de prestations annexes serait subordonnée à la condition qu'elles soient « en relation directe avec l'objet principal de la société et destinées exclusivement aux sociétés ou aux groupements dont elles détiennent des participations » (leurs filiales), à l'instar de ce qui prévaut pour les sociétés holdings de droit commun. Ce dispositif n'a toutefois pas vocation à altérer l'objet principal de ces sociétés qui demeure la détention de parts ou d'actions de sociétés d'exercice libéral.

Une telle précision permettait d'apporter davantage de souplesse au fonctionnement de ces structures et devait, en conséquence, faciliter la constitution de groupes de sociétés d'exercice libéral.

L’article 72 a prévu aussi d’étendre l'activité principale de la société à la prise de participations à tout groupement de droit étranger. Ainsi pourraient être constituées des sociétés de participations financières transnationales. Aucune précision sur le statut juridique des groupements étrangers n'est mentionnée pour tenir compte de la diversité des réglementations étrangères en la matière. En vue de préserver le caractère « monoprofessionnel » de l'activité principale des sociétés de participations financières, la prise de participations financières est toutefois limitée aux groupements étrangers « ayant pour objet l'exercice de la même profession ».

Tel fut donc l’objet de l’article 72 de la « loi Professions» qui venait compléter les dispositions de la loi MURCEF sur les holdings de sociétés de professions libérales.

Je ne voudrais pas conclure ce propos en oubliant le projet de texte de réforme (encore une fois !) de la loi MURCEF par la loi PME présentée par le Ministre, Christian Jacob. Les modifications concernent plus précisément et exclusivement le secteur de la Santé et c’est pourquoi, aujourd’hui, je ne fais que l’évoquer.

Mais avant de rendre la parole, je voudrai aussi lever le voile sur une large polémique tendant à savoir si les négociateurs et les rédacteurs du texte de la loi avaient ou non, volontairement ou involontairement, dans la rédaction du 2ème alinéa de l’article 2 de la loi MURCEF, manqué de préciser que les droits de vote pouvaient être détenus majoritairement par une holding dans une structure libérale.

Je vous l’avoue : l’intention était claire et on aurait pu éviter peut-être tant de doctrine et même de circulaire ministérielle : le texte est clair et la réponse est négative ! C’était la volonté des professionnels eux-mêmes, qui pour une fois ont pu faire valoir, directement par la délégation, leur position.

Alors quel est aujourd’hui le bilan de ces textes ?

Doit-on regretter comme le faisait d’ailleurs le rapporteur Sénateur sur la loi Professions que la loi n’a pas abordé « le chantier plus ambitieux de la nécessaire réforme des règles relatives à l'exercice en commun de la profession d'avocat » ?

A vous de me le dire, et c’est à moi de vous écouter.

Je vous remercie

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