Publications de Presse Edouard de Lamaze

Les avocats face au blanchiment : Règlements communautaires et nationaux, Séminaire Bruxelles 25 mai 2005

1)Le contexte international : Rappel historique


1- La Directive 91/308/CEE du Conseil, relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux a marqué le début des efforts réalisés dans le cadre de l’Europe pour lutter contre ce phénomène.

Conformément aux 40 Recommandations établies en 1990 par le GAFI, organisme international spécialisé dans la lutte mondiale contre le blanchiment, la Directive de 1991 a défini le blanchiment de capitaux comme une série d’infractions liées au trafic de stupéfiant et n’a imposé des obligations qu’au secteur financier.

 

Ces Recommandations ont été reconnues par le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale comme des normes internationales de lutte contre le blanchiment. Le GAFI a par la suite apporté des modifications à ses Recommandations pour tenir compte de l’évolution des pratiques et pour couvrir l’ensemble des infractions sous-jacentes du blanchiment.

2- Suite à une proposition de la Commission en 1999, la Directive 2001/97/CE adoptée le 4 décembre 2001 a étendu le champ d’application de ces dispositions:

- en terme d’infractions, est désormais couvert le blanchiment des produits d’ « infractions graves » entendues comme celles générant des « produits substantiels » ou « passibles d’une peine d’emprisonnement sévère » ;

- en terme de professions, les obligations de déclarations et de contrôles dépassant désormais le seul secteur financier et touchant des professions juridiques comme celle des avocats ;

3- Si la Directive de décembre 2001 a servi de base commune, dans la lutte contre le blanchiment, à l’ensemble des Etats membres, de nombreuses difficultés d’applications ont vu le jour, tenant notamment à l’absence de définition précise des infractions graves visées par le texte.

La Directive de 2001 a d’ailleurs invité la Commission à présenter une proposition à ce sujet pour 2004, ce qui est notamment l’objet de la nouvelle proposition de Directive.

En outre, ainsi qu’il a été indiqué, le GAFI a publié le 20 juin 2003 un nouveau texte de Recommandations révisées, ayant vocation à créer un nouveau cadre complet contre le blanchiment mais aussi le financement du terrorisme et entérinant l’idée d’une nouvelle directive, fondée sur la dichotomie « risques élevés/mesures renforcées ».

Au regard de ces constatations, la Commission a présenté, le 30 juin 2004, une proposition de Directive visant expressément le terrorisme et son financement dans l’intitulé même de son titre : « Directive du Parlement européen et du Conseil relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux, y compris le financement du terrorisme ».

Il a été décidé dans un souci de clarté, d’abroger à terme la directive en vigueur et de proposer un nouveau texte indépendant, fondé sur les acquis actuels et ne remettant pas en cause les dispositions existantes concernant notamment les professions visées.
Ainsi, aux termes des articles 18 à 23 de la nouvelle proposition de Directive, le dispositif de déclaration applicable aux professions juridiques et autres reste inchangé. Le fait de déclarer un soupçon de blanchiment n’enfreint aucune obligation de confidentialité en droit civil ou pénal.

Par ailleurs, la faculté qui était laissée aux Etats membres d’autoriser les avocats d’informer le client lors du dépôt d’une déclaration le concernant est écartée par l’article 25 de la Proposition. Cette modification va ainsi à l’encontre des inquiétudes manifestées par la profession quant aux conséquences de cette obligation de déclaration sur la confiance du client et sur les fondements mêmes de la profession.

Ainsi, la nouvelle proposition laisse en suspens les interrogations de taille qu’avaient déjà mis à jour la Directive de 2001 dont elle prévoit l’abrogation. Des réponses rapides seront cependant nécessaires, l’article 41 prévoyant un délai de mise en œuvre de douze mois à compter de l’adoption imminente de la Directive.

2) La réaction législative française :

La loi du 11 février 2004 a modifié le statut de certaines professions judiciaires et juridiques, dont les avocats. Un long article 70, transposant en droit interne la directive européenne 91/308/CEE (telle que modifiée par la directive 2001/97/CE), est consacré à la déclaration de soupçon concernant le blanchiment d’argent sale.
L’obligation de déclaration est limitée à la rédaction d’actes et ne concerne donc ni l’activité judiciaire, ni la consultation, couverts par le secret professionnel au nom des droits de la défense.
La déclaration est adressée au bâtonnier qui a un droit de regard et peut s’abstenir de la communiquer à TRACFIN.

3) Le constat : une atteinte à l’indépendance de l’avocat

1- Le Conseil National des Barreaux estime que la directive blanchiment du 4 décembre 2001, en soumettant l’avocat à une obligation de dénonciation porte atteinte de façon définitive à l’indépendance de l’avocat, la confidentialité des échanges entre l’avocat et son client, menace le secret professionnel et menace les droits du citoyen.
Le secret professionnel est pour la profession d’avocat, la condition de son autonomie et de son indépendance. L’obligation de déclaration nuit à cette indépendance en soumettant l’immunité de l’avocat au respect d’un « devoir de délation » contraire à son obligation de conscience donc à son serment. La mission même de l’avocat serait inconciliable avec toute fonction de dénonciation .
L’annonce de la soumission du secret professionnel et de l’indépendance de l’avocat au devoir de vigilance n’a pas été sans créer un émoi certain parmi les avocats. Ceux-ci ont réagi contre une mesure qu’ils considèrent comme attentatoire aux « principes piliers » de la profession . Les avocats ont ainsi rappelé que la défense d’un criminel, ne faisait pas d’eux son complice. Ils ont souligné, de plus, l’incohérence d’une dénonciation, en cas de doute sur les activités d’un client, susceptible d’être un blanchisseur, alors même que rien ne les oblige à dénoncer l’assassin qui aurait avoué son crime.
L’avocat ne saurait remplir son rôle s’il n’est pas indépendant de toute autorité.

2- Le 22 mai 2003, le Conseil National des Barreaux, la Conférence des Bâtonniers et le Barreau de Paris ont saisi le Parlement européen d’une pétition contre la 2ème Directive blanchiment de 2001. Cette pétition a été jugée recevable lors de l’audition par le Comité des pétitions du Parlement européen le 30 septembre 2004.
A cette occasion, le Conseil National des Barreaux, les Barreaux espagnol, italien, belge et le Conseil des Barreaux de l’Union européenne ont exprimé leurs inquiétudes face aux atteintes que le 2ème Directive blanchiment porte aux fondements de la justice, de l’Etat de droit et de la démocratie ainsi qu’aux règles essentielles de la profession d’avocat.
La Commission des Pétitions du Parlement européen a, le 30 septembre 2004, décidé de rester saisie de la pétition contre la 2ème Directive blanchiment de 2001 et de solliciter les avis de la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures, de la Commission des affaires juridiques et du service juridique du Parlement européen. Elle a également décidé d’entendre de nouveau le pétitionnaire à l’occasion d’un débat ultérieur.


La Fédération des Barreaux d’Europe (F.B.E.) a décidé de se joindre à cette pétition, qui est également soutenue par de nombreux Barreaux européens se situant les pays suivants : Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Grande-Bretagne, Hollande, Italie, Luxembourg, Pologne et Portugal.
Par ailleurs, les Barreaux belge et polonais ont contesté devant les Cours Suprêmes de leurs Etats respectifs la législation nationale transposant la 2ème Directive blanchiment.

3- Le Conseil National des Barreaux poursuit aujourd’hui son action résolue contre la 2ème Directive blanchiment et la proposition de 3ème directive blanchiment qui la reprend et en amplifie les effets négatifs.
Il a déposé en date du 21 avril 2005 une motion au Parlement européen, ci-après reproduite, à l’encontre de la nouvelle proposition de Directive.
Par cette motion, le Conseil National des Barreaux demande solennellement au Parlement européen de :
« 1. Inclure dans la troisième directive la nécessaire indépendance de l’avocat vis-à-vis de tous, ceci dans l’intérêt de chaque citoyen et de la société.
2. Exclure les avocats de toute obligation déclarative d’opération suspecte, de transmission à des tiers d’informations obtenues à l’occasion de leur activité professionnelle et plus généralement de toute forme de coopération directe ou indirecte avec l’Etat ».

4- Les avocats français ont cependant tenu à démontrer qu’ils n’étaient pas pour autant contre le principe d’une participation active à la lutte contre le blanchiment ; d’autant qu’ils étaient soupçonnés d’être moins fermement attaché à la défense du secret professionnel qu’à l’indépendance de leur professions . Ils soumettent des propositions plus à même de concilier l’impératif de lutte contre le blanchiment avec l’éthique de la profession.
Dans cet esprit, les Bâtonniers de France avaient adopté dès l’année 2000 une résolution visant à concilier la lutte contre le blanchiment et le respect du secret professionnel .
C’est surtout sous l’angle de la prévention que les avocats entendent participer à la lutte contre le blanchiment de capitaux, notamment en assurant une formation propre à la détection des opérations douteuses.
Le Conseil National des Barreaux a estimé qu’ « une déontologie exigeante et sanctionnée par les ordres et le contrôle exercé par les caisses de règlement pécuniaires des avocats (CARPA) sur le maniement de fonds des avocats français permettent l’absence d’engagement des avocats dans des opérations de blanchiment et plaident en faveur de la préservation du caractère absolu de leur secret professionnel ».
Le système de maniements des fonds, assuré par la CARPA, devrait permettre de lutter efficacement contre le blanchiment. La traçabilité des fonds est assurée par une individualisation s’exerçant par avocat et par affaire, la compensation entre les différents comptes étant interdite.


Le président de la CARPA a, en outre, le pouvoir de contrôler :

- la provenance des fonds crédités sur les sous-comptes affaires,

- l’identité des bénéficiaires des règlements,

- la justification entre les règlements pécuniaires des avocats et les actes juridiques ou judiciaires accomplis.

Le système de CARPA constitue ainsi un dispositif de prévention et d’alerte efficace, disposant des moyens pour lutter contre le blanchiment.


Motion au Parlement européen déposée par le Conseil National des Barreaux Français

Sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux, y compris le financement du terrorismeParis, le 21 avril 2005Le Conseil National des Barreaux, établissement d’utilité publique doté de la personnalité morale, institué par la loi du 31 décembre 1990, chargé des prérogatives de représentation de la profession d’avocat en France et d’unification des règles et usages de la profession d’avocats, a pris connaissance de la proposition de troisième directive du Parlement européen et du Conseil relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux, y compris le financement du terrorisme.

1) Le Conseil National des Barreaux considère que :

• Le blanchiment de capitaux d’origine douteuse constitue un danger pour les démocraties et leurs économies en ce qu’il transfère le pouvoir économique légal aux organisations criminelles par la mise en œuvre des processus illicites destinés à faire disparaître ou à dissimuler l’origine des produits des crimes ou des délits.

• Ce combat est celui de tous et de chacun, quelle que soit sa profession ou sa fonction.

2) Le Conseil National des Barreaux affirme avec force que :

• Les conditions d’existence d’une société démocratique résident notamment dans la possibilité pour tout citoyen d’accéder à la justice et plus largement au droit.

• L’assistance du justiciable par un avocat est garantie par l'article 6 CEDH(1) . Ce droit est également prévu à l'article 47 de la Charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne (2). Le droit à être assisté par un conseil a vocation à assurer aux citoyens européens une protection fondamentale face aux pouvoirs répressifs des autorités publiques.

• Aucun système juridique contraignant ne peut s'affranchir de ce droit sans porter atteinte aux fondements d’un Etat de droit ou même d’une « Communauté de droit » telle que reconnue par la Cour de Luxembourg.

• Le citoyen doit pouvoir se faire conseiller, défendre et représenter par un professionnel du droit, dans l’absolue confiance et donc dans l’absolue confidence. Ce professionnel est l’avocat. Il est le seul à pouvoir garantir ce droit immuable à chaque citoyen.

• L’avocat ne saurait remplir son rôle s’il n’est pas indépendant de toute autorité.

• Le secret des avocats est d'abord une obligation éthique, directement liée à la raison d'être de lafonction.

• La dénonciation des crimes et délits – moins encore des soupçons - ne ressort pas de l’exercice professionnel de l’avocat.

• La déclaration de soupçon est considérée par l’ensemble des avocats comme une obligation contraire à leur serment et porte atteinte à leur devoir de conscience.

3) Le Conseil National des Barreaux constate que :

• La directive blanchiment du 4 décembre 2001, en soumettant l’avocat à une obligation de dénonciation porte atteinte de façon définitive à l’indépendance de l’avocat, la confidentialité des échanges entre l’avocat et son client, menace le secret professionnel et menace les droits du citoyen.

• L’obligation de délation à charge des avocats est en rupture totale avec les droits du citoyen dans sa liberté d’accès au droit et dans son droit de se confier à un avocat sans crainte d’être dénoncé, avec l’exigence du secret professionnel, l’indépendance et le devoir de conscience de l’avocat. De telles exigences sont en contradiction non seulement avec la Charte des Droits Fondamentaux mais également avec la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européennes (arrêt Wouters (3))

4) Enfin le Conseil National des Barreaux affirme que la mission de l’avocat dans une société démocratique est inconciliable avec toute fonction de dénonciation mais qu’en contrepartie le secret professionnel impose aux avocats des devoirs et une vigilance exceptionnelle.

5) C’est pourquoi le Conseil National des Barreaux a adopté à l’occasion de plusieurs Assemblées Générales des principes de vigilance permettant aux avocats d’éviter d’être utilisés à des fins de blanchiment des capitaux.

Ces principes sont les suivants :

1. Identification des clients, des ayant droits économiques, et des correspondants situés à l’étranger, dispositions spécifiques et adéquates pour faire face au risque accru de blanchiment de capitaux qui existe lorsque les avocats nouent des relations contractuelles avec un client qui n'est pas physiquement présent aux fins de l'identification ou lorsqu'ils l'assistent dans la préparation ou la réalisation d'une transaction.

2. Procédures de contrôle interne des cabinets d’avocats.

3. Accès des avocats des structures d’exercice aux informations, renseignements et documentations relatives à l’identification des clients et des opérations auxquelles ils participent en qualité d’avocat salarié ou non.

4. Contrôle de l’origine et des mouvements des fonds lors du paiement du prix lorsqu’ils échappent au contrôle CARPA (4).

5. Programmes et actions réguliers de formation et de sensibilisation des avocats et de leur personnel aux fins de prévention en matière de blanchiment, en tenant compte des métiers exercés et de la spécificité de leur activité.

6. Organisation et moyens humains et techniques des Bâtonniers et des Ordres en matière de conseil aux avocats sur la prévention de leur utilisation aux fins de blanchiment des capitaux.

7. Conservation des pièces du dossier après la cessation de la relation avec le client.

6) Parce que la délation ne peut pas être une forme de gouvernement.

Parce que l’Europe ne doit pas se donner les moyens de recourir à la délation.Parce que dénoncer demeurera toujours pour l’avocat un acte condamnable.Parce que l’avocat est l’unique garant des droits des citoyens dans une Communauté de droit.Le Conseil National des Barreaux demande solennellement au Parlement Européen de

1. Inclure dans la troisième directive la nécessaire indépendance de l’avocat vis-à-vis de tous, ceci dans l’intérêt de chaque citoyen et de la société.

2. Exclure les avocats de toute obligation déclarative d’opération suspecte, de transmission à des tiers d’informations obtenues à l’occasion de leur activité professionnelle et plus généralement de toute forme de coopération directe ou indirecte avec l’Etat.

De son côté, le Conseil National des Barreaux s’engage à prendre des mesures visant à protéger la profession d’avocat des influences de la criminalité organisée et à l’associer à la lutte contre le blanchiment des capitaux par le biais de l’adoption d’un code de conduite.

(1) « Tout accusé a droit notamment à : (…) avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent. »
(2) « Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter. »
(3) CJCE, 19 février 2002, Wouters et al., aff. C-309/99.
(4) Caisse des règlements pécuniaires des avocats (CARPA)

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