Fiche sur l'ouvrage : "La justice à l’épreuve", de Jean-Marie Coulon & Daniel Soulez Larivière
-- La justice à l’épreuve --
Jean-Marie COULON & Daniel SOULEZ LARIVIÈRE
IDÉE DU LIVRE
Montée du pouvoir des juges, vieillissement des procédures, surcharge : la justice française est en crise. Mais n’est-ce pas plutôt la France qui découvre les servitudes et les vertus du droit ?
Pendant trois ans, Jean-Marie COULON, premier président de la Cour d'appel de Paris et Daniel SOULEZ LARIVIÈRE avocat au barreau de Paris se sont entretenus sur la justice. Tous deux rompus à l'art de la Justice, l'un côté cour l'autre côté jardin, ils analysent avec un total mépris des conventions l'état de la justice. Non seulement en France mais aussi là où leur expérience les a portés.
Pour la première fois un juge et un avocat confrontent sans concession leurs points de vue. Apparemment tout les oppose : l’exercice de leur métier, la fonction qu’ils remplissent, leur conception du droit. Pourtant, par delà les différences et les divergences, s’ébauche le portrait de ce que devrait être notre justice.
Leur constat est évident bien que nuancé : il est urgent de revoir la justice à l'aune des nouvelles technologies, des nouvelles façons de vivre du citoyen lambda. Et si le lecteur a parfois l'impression qu'ils s'opposent, cette impression est vite gommée par un discours clair, précis, non dénué d'humour ni de coups de gueule de part et d'autre mais en tout cas salutaire.
QUESTIONS POSÉES
Notre justice est-elle prête pour les nouvelles missions que la société lui assigne ? Les juges sont-ils bien choisis et bien formés pour assumer leur tâche ? Les cours et les tribunaux sont-ils adaptés ? Quels sont les autres moyens de résoudre les conflits ? Le système de répression pénale est-il satisfaisant ? L’avènement d’un ordre juridique européen et, au-delà, d’une justice internationale ne constitue-t-il pas une chance pour notre propre appareil judiciaire ?
QUELQUES IDÉES FORCE
Beaucoup voient le déclin de la norme traditionnelle comme une faiblesse, comme un signe de dépossession démocratique. L’ordre juridique imposé, c’est-à-dire la loi votée par le Parlement, comprend aujourd’hui le droit communautaire, le droit européen, les principes généraux du droit, notamment constitutionnels.
L’ordre public imposé d’en haut coexiste avec un ordre public négocié. Cette tendance trouve son origine dans le libéralisme économique et dans la mondialisation des échanges.
Dans ce contexte, la montée en puissance du juge est inéluctable : protecteur des libertés individuelles il est aussi le régulateur des conflits privé et public comme des grands problèmes de société.
Selon l’avocat, nous vivons dans une démocratie d’opinion, la plus légitime des dictatures. La loi n’est pas autre chose qu’un cadre dans lequel le juge dit le droit en interprétant la réalité, en distinguant ce qui est admis de ce qui ne l’est pas.
L’avocat a l’idée d’un juge qui n’est que la « bouche de la loi » (Montesquieu).
Pour le juge, dans le système Anglo-saxon, le rôle du juge est différent ⋄ le juge crée le droit. Il dit : « vous avez raison parce que c’est du droit, et c’est moi qui vous le dit ».
- Le juge français n’est pas reconnu comme pouvant créer du droit. Il doit chercher la vérité.
- « Cesse de critiquer la justice qui ne fait qu’appliquer la loi que tu décides. » (D. BARELLA, juge, ancien membre du conseil supérieur de la magistrature)
- Ce qui est à craindre est plus la faiblesse de la loi que l’abus du juge.
- Il manque une représentation unique à la profession d’avocat, elle manque d’identité.
- Le juge est le garant de l’intérêt général, tandis que l’avocat est le garant des intérêts particuliers de son client.
Pour l’avocat, le juge n’est pas le seul garant de l’intérêt général. Selon cette idée, il y aurait le droit des juges, qui s’occupe de l’intérêt général et le droit marchand, celui des défenseurs, des intérêts particuliers. Ce mal est très français.
- La crise de l’Etat est fondée sur le phénomène nouveau de la démocratie d’opinion. La justice est par définition une émanation de l’Etat. La crise judiciaire, qui n’est autre que le symétrique de celle de l’Etat et du politique, ne trouve pas de réponse toute faite.
- Le seul remède, du côté de la justice, consisterait à transformer l’appareil judiciaire (recrutement, formation, ...) et donc notre droit, de telle manière que le juge se retrouve dans une situation différente de celle dans laquelle il était quand il n’avait pas de pouvoir.
- Le politique n’est pas capable d’imposer quoi que ce soit à l’appareil judiciaire. L’appareil judiciaire ne pourra évoluer que de l’intérieur.
- Par ailleurs, l’élément indispensable d’une formation d’avocat consiste à bien comprendre ce qu’est un juge. En effet, dès l’école de la magistrature, les futurs juges se sentent séparés des autres mondes judiciaires et de la nation.
BILANS
- Du juge : La justice ne doit pas réagir avec émotivité car elle demeure et sera toujours fragile et à l’épreuve. Elle est à l’épreuve de son passé dont ses prophètes nous entretiennent de leurs illusions, elle est à l’épreuve du réel dont elle ne doit pas se détacher, elle est à l’épreuve de sa valeur proprement dite, elle est à l’épreuve de ses relations avec les pouvoirs où l’explication doit l’emporter sur la polémique, elle est à l’épreuve de l’Europe dont les scintillements brillent d’un éclat encore trop inégal, elle est enfin à l’épreuve d’elle-même dans ses relations avec l’usager et le citoyen.
La recherche d’une meilleure efficacité du fonctionnement de la justice, au regard des années écoulées, implique que les différentes composantes de l’organisation judiciaire soient en position de jouer pleinement leur rôle. L’économie de la justice et le procès équitable, comme le souligne M. Guy CANIVET, premier président de la Cour de Cassation, demeurent le but à atteindre. Or la tentation est grande de délégitimer partiellement son autorité, donc l’Etat, parce qu’elle n’assumerait plus ses devoirs. Cependant, la justice ne doit pas se personnaliser mais se conceptualiser.
La justice de première instance, civile ou pénale, est la justice des citoyens. Elle est rendue au nom du peuple français qui demande un jugement de qualité dans un délai raisonnable avec sa traduction concrète, l’exécution de ses dispositions. Les voies de recours, trop souvent détournées de leur sens, doivent rester exceptionnelles. Or on constate que la conception actuelle de l’appel permet de soumettre à l’appel un litige différent de celui qu’ont eu à connaître les premiers juges, ce qui est trop souvent facteur de lenteur et d’insécurité.
Le recentrage de l’organisation judiciaire passe par la reconnaissance réelle de l’ordre contractuel pour résoudre les litiges.
- De l’avocat : la loi du 15 juin 2002 sur la présomption d’innocence illustre parfaitement les limites du travail législatif actuel. C’est un patchwork, un labyrinthe sans architecture : refusant la transformation profonde qui est nécessaire. C’est le type même de compromis qui sème la mauvaise humeur plus qu’une courageuse révolution.
La plaie de la magistrature est qu’elle est tout le contraire de ce qu’il faudrait pour être légitime. Pouvoir sans nom et responsable devant elle-même, gouvernée par elle-même, choisie par elle-même et formée par elle-même. Pour traiter cette plaie, il faudrait bouleverser l’organe de discipline et de nomination des juges, pour le rendre représentatif de la population. Daniel SOULEZ LARIVIÈRE propose un nouveau modèle pour le Conseil Supérieur de la Magistrature. Il souhaite notamment séparer le siège et le parquet, chacune des parties elle-même divisée en deux : discipline et nomination.
CONCLUSION
Le juge et l’avocat vont dans le même sens. Ils remettent en cause le système judiciaire et la légitimité de la justice – surtout la magistrature pour l’avocat –, et il semble que dans 30 ans, ils seront presque complètement d’accord. Mais les trente prochaines années vont être difficiles, et il ne faut pas compter sur Strasbourg.
Puissent d’autres dialogues se nouer publiquement entre les juges, les parquetiers, les autres juristes et les politiques. Car seul le débat, et de préférence fracassant, réveille les endormis et stimule l’imagination et la fertilité.
Table des matières
I – De la crise de la justice, de la loi, du droit, de l’Etat et de quelques malentendus
Crise ou renouveau ?
Justice et démocratie d’opinion
Droit-valeur, droit-marché
La procédure
Intérêt général et intérêts particuliers…
II – Le couple Etat – justice dans les labyrinthes du changement
Affaiblissement de l’Etat, montée du droit…
… et fermentation de la justice
La justice étend sa sphère d’intervention
Nouvelles missions
La justice internationale
Légitimité du juge international
Davantage de démocratie
Les limites du système
Nécessité de réformes profondes
III – Des juges et des avocats
Les juges
La justice, fondement du lien social
Des juges qui se retiennent…
La légitimité du juge
La solution procédurale
Les avocats
Faillite de la représentation chez les avocats
La formation
La grande division : le juridique et le judiciaire ?
Une communauté juridique, une formation commune ?
Créer un espace commun
Un inquiétant défaut de culture
IV – Un juge pour quoi faite ?
Des missions élargies
Une demande judiciaire inflationniste
Des méthodes inadaptées à la demande
Juge et avocat : des missions voisines ?
V – Avec qui juge-t-on ?
Un héritage historique difficile
L’ENM, un modèle discuté
En finir avec les deux cultures
Esprit de corps ou esprit de caste ?
La formation des juges à l’étranger
Les prud’hommes
VI – qui juge-t-on ?
L’éducation juridique de tous
Le coût du droit
Transaction, conciliation, médiation
Le revers de la médaille
Une menace pour le droit ?
La prison
Un peu d’histoire pénitentiaire
La prison : symbole ou châtiment physique ?
Application des peines
A quoi sert la prison ?
VII – Comment juge-t-on ?
Naissance d’une justice internationale
Vers le respect de la défense
Lenteur des évolutions
Le civil et le pénal
Le contrat
VIII – Que faire ?
Justice et gouvernance
Les difficultés du politique
Faut-il un changement brutal ?
Vers l’Europe
IX – L’avenir de la justice
La dernière institution à bouger
Le juge, « grammairien des rapports sociaux »
La loi et les mœurs
Une justice supranationale
Transformation du métier d’avocat
Un nouveau pouvoir des juges
Conclusion